3 questions à Jean Veil


« Simone Veil avait à coeur d’user du Droit pour la défense et l’amélioration du sort de tout un chacun »

LexisNexis publie Simone Veil. Un héritage humaniste , un ouvrage collectif dans lequel 36 personnalités du monde juridique et judiciaire apportent leurs témoignages. Préfacé par Jean et Pierre-François Veil, cet ouvrage exceptionnel permet de revenir sur le parcours d’une femme hors du commun. Au fil de ces 480 pages, on mesure l’étendue de ses actions et de ses engagements. On pensait presque tout savoir sur Simone Veil. Avec cet ouvrage, on réalise qu’il reste encore beaucoup à découvrir… Jean Veil nous fait le plaisir de répondre à quelques questions.

Lorsque le projet de Mélanges Simone Veil vous a été proposé par LexisNexis, vous avez d’abord hésité. Qu’est-ce qui vous a finalement incité à dire oui ?

Comme nous l’écrivons dans la préface, notre admiration pour notre mère avait sans doute occulté la prise de conscience de ce que maman avait eu une carrière totalement consacrée au Droit pendant plus de 50 ans.Elle a dédié sa vie, en plus de sa vie familiale bien sûr, à son activité professionnelle.

D’abord magistrat pendant plus de 20 ans, elle a rejoint cette profession après un compromis avec mon père. Haut fonctionnaire, il avait refusé qu’elle devienne avocate, métier qui, dans les années 40/50, n’était pas représentatif du « bon côté » de la justice.Par ailleurs, dans un milieu bourgeois, il était rare que les femmes travaillent.Cette entrée dans la vie professionnelle, reflet d’une rupture avec son éducation bourgeoise, a été sans doute la première manifestation de sa volonté d’indépendance; elle disait que l’indépendance des femmes ne pouvait résulter que de leur autonomie financière. Vos lecteurs découvriront dans les contributions de ce bel ouvrage la personnalité de maman sous sa forme rebelle, féministe mais non militante. Elle avait à cœur d’user du Droit pour la défense et l’amélioration du sort de tout un chacun. Son entrée dans la vie politique d’abord en tant que « fabricant » de la loi – soit comme ministre puis en qualité de parlementaire européen

On lit l’influence qu’a eu notamment votre grand- mère maternelle sur les réflexions et actions de votre maman sur la place des femmes dans la société française. De quelle manière l’histoire familiale et personnelle a marqué son parcours professionnel ?

Maman évoquait très fréquemment sa mère. Et tous ceux qui ont été déportés avec elle et qui ont assisté aux dernières années de la vie de ma grand-mère maternelle qui se prénommait Yvonne, ont été extrêmement marqués par la personnalité de cette femme. D’abord parce qu’elle était d’une beauté absolument incroyable, une sorte de Greta Garbo, et ensuite d’une grande dignité. Maman a toujours dit que c’était la personne qui avait le plus compté dans sa vie. Toute personne ayant connu ma grand-mère n’a pu qu’être frappée par sa personnalité. J’ajouterai que mes deux grands-mères, Yvonne et Alice, ce qui n’était pas si fréquent à l’époque, avaient, toutes deux, fait des études. L’une était chimiste, l’autre professeur de mathématiques, mais elles n’exerçaient pas.

La personnalité de maman, qui, disons-le, était une rebelle – elle affrontait son père en lui disant souvent non – s’est forgée à partir de ce vécu familial. C’est par l’exemple de vie de ses parents que maman ainsi que ses deux soeurs ont été convaincues qu’il fallait, bien que femmes, travailler.

Cette conviction et ce besoin de travailler – elle l’a toujours eu et l’a mis en pratique dès son retour de déportation à l’âge de 18 ans. La Shoah a bien sûr contribué pleinement à forger sa personnalité, et la présidence notamment de la Fondation pour la mémoire de la Shoah a été
pour elle une évidence.

Jean Leonetti livre des lignes poignantes sur « l’incarnation de la dignité humaine » de votre mère. Il écrit notamment « La dignité, c’est accepter la mémoire dans sa totalité, celle des moments de bonheur et de frivolité d’avant et celle de l’horreur des enfants, des femmes, des vieillards battus et humiliés. Nostalgie douce et devoir de mémoire de l’innommable, tout est assumé (…) ». Qu’est ce que cela vous inspire ?

Jean Leonetti me semble avoir parfaitement décrit un certain nombre des qualités de notre mère.

HB : Avec la même discrétion qui était celle que sa mère observait, Jean Veil n’ira pas jusqu’à évoquer les mercredis soirs où, alors que Simone Veil était ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville, elle allait visiter, en toute discrétion, les malades du sida à l’hôpital Broussais. C’était dur, très
dur, la vision de la maigreur de certains patients qu’elle avait visités lui faisait penser aux camps …
Prendre, donner de son temps pour aller à la rencontre des malades, leur apporter quelques moments de tendresse, de soutien et d’écoute, « l’égale dignité de toute vie humaine ».

Propos recueillis par Hélène Béranger

La semaine juridique – édition générale – N°50

Retrouvez l’ouvrage dans les librairies et sur la boutique en ligne Lexisnexis: https://bit.ly/2L1kTI6