EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 43 – 21 OCTOBRE 2019
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« L’arrivée du Brexit a créé une véritable réflexion concernant les structures d’exercice à Paris »
3 questions à Me Loyseau de Grandmaison, avocat à la Cour, membre du Conseil de l’Ordre de Paris, secrétaire de la Commission de l’exercice À la suite de la notification du Royaume-Uni de sa volonté de sortir de l’Union européenne le 27 mars 2017 et du délai de 2 ans accordé pour mener à bien les négociations, c’est aujourd’hui à son Premier ministre, Boris Johnson, que revient la charge de trouver une issue. Désireux de renégocier l’accord de sortie rejeté par les parlementaires britanniques, il se dit prêt à assumer une sortie sans accord si nécessaire. Le sommet européen des 17 et 18 octobre paraît ainsi être celui de la dernière chance. Me Florent Loyseau de Grandmaison livre son analyse du sujet.

Quels sont les effets du Brexit sur la profession d’avocat ?
La réglementation européenne prévoit qu’un avocat ressortissant d’un pays de l’Union européenne qui exerce sous son titre d’origine de façon effective dans un autre pays de l’Union pendant 3 ans peut acquérir le titre local sur simple démonstration de son activité dans ce pays. Cela ne sera donc plus applicable aux avocats ressortissants du Royaume-Uni après la sortie. Nous sommes actuellement dans une période de report de délai dans laquelle le Royaume-Uni continue d’appliquer tous les instruments juridiques européens jusqu’au 31 octobre prochain, date du dernier report accordé par l’Union européenne. Donc concrètement, depuis le 29 mars dernier, ce sont les effets politiques, juridiques et économiques de cette sortie qui se négocient.
En cas d’accord, la France, de façon individuelle, ne sera pas seule décisionnaire sur le contenu, c’est la Commission, au nom du Parlement européen, qui négociera pour les 27 États membres. À l’inverse, en l’absence d’accord, – on parlera alors de « hard Brexit » – chaque pays retrouvera sa liberté et restera libre d’adapter sa législation en fonction de ses besoins et de ses envies.
Quel est le sort des avocats ressortissants du Royaume- Uni installés à Paris ?
Tout d’abord, il y a ceux qui ont déjà acquis leur titre d’avocat au barreau de Paris sur la base d’une réglementation qui ne s’appliquera plus après le Brexit. Ces confrères conservent leur titre. Il y a ensuite ceux qui sont en cours d’acquisition du titre : la décision prise par le barreau de Paris, au nom de l’ouverture, est de leur permettre de computer leurs 3 ans d’exercice à partir du moment où ils ont déposé leur dossier. Ainsi, tant que la sortie n’est pas définitive, ils peuvent déposer un dossier et computer le délai de 3 ans, même si cette durée se poursuit après la date de la sortie. Initialement, elle devait intervenir le 29 mars 2019. C’est désormais le 31 octobre 2019, voire plus tard, en cas de nouveau report.
Il y a enfin le cas des confrères qui exercent sous leur titre d’origine (solicitors ou barristers) et qui seront considérés comme des tiers après la sortie car ils n’auront pas déposé de dossier : leur seul secours pour exercer de façon permanente au barreau de Paris sera, soit d’être consultant juridique étranger (nouvelle modalité d’exercice issue de Ord. n° 2018-310, 27 avr. 2018), soit de passer l’examen dit « de l’article 100 », leur permettant la délivrance d’une attestation pour prêter serment en France (D. n° 91-1197, 27 nov. 1991, art. 100).
Quel est l’enjeu spécifique du Brexit pour l’Ordre des avocats au barreau de Paris ?
Le Brexit a un double visage : nous oeuvrons tout autant pour la défense des cabinets ressortissants du Royaume-Uni, qui exercent à Paris que pour celle des avocats français qui exercent là-bas. Le barreau a immédiatement réagi auprès des pouvoirs publics pour solliciter la mise en place de règles en cas de « hard Brexit », c’est-à-dire de sortie sans accord. Cela s’est concrétisé par la promulgation d’une ordonnance applicable uniquement pour cette hypothèse (Ord. n° 2019-76, 6 févr. 2019).
Les règles qu’elle prévoit sont destinées tout autant aux personnes physiques que morales. Elles permettent non seulement la reconnaissance des qualifications professionnelles, mais également, comme rappelé plus haut, l’intégration au Barreau de Paris de tous les avocats ayant exercé sous leur titre d’origine pendant 3 ans en France et enfin la possibilité pour les structures d’exercice de conserver leur inscription au barreau de Paris et de poursuivre leur exercice. Les détentions de capital au sein de ces structures d’exercice sont pérennisées. On considère ainsi que les droits acquis peuvent être maintenus malgré le changement de statut du pays dont ils sont originaires.
Des démarches ont également été engagées auprès de la Law society de Londres et de la SRA (Solicitors Regulation Authority) par le barreau de Paris pour faciliter l’exercice des avocats y exerçant. En tant qu’Ordre, nous sommes très attachés aux conditions d’iso-exercice. Nous souhaitons que l’ensemble des confrères exerce dans les mêmes conditions, sans avantage ni inconvénient et que la concurrence puisse s’exercer pleinement sans chocs fiscaux et sociaux. L’arrivée du Brexit a créé une véritable réflexion concernant les structures d’exercice à Paris. Nous nous sommes aperçus que nombre de cabinets anglosaxons se sont installés à Paris sous forme de filiale de LLP (Limited Liability Partnership) car il n’existait pas en France de structure suffisamment souple pour leur permettre d’exercer efficacement. C’est pourquoi la Commission de l’exercice travaille actuellement de façon approfondie à la création d’une nouvelle structure d’exercice au bénéfice de l’ensemble des cabinets, français ou étrangers, afin de leur permettre d’exercer à Paris avec la même souplesse et les même facilités d’organisation que les LLP.
Un rapport sera prochainement présenté au Conseil de l’Ordre concernant cette nouvelle structure. Cela correspond pleinement à l’ambition du barreau de Paris, d’être à la fois un barreau de référence au plan international, mais également d’accroître l’attractivité du droit français en le rendant souple et performant.
Propos recueillis par Elise Cozic, éditeur Rédaction pénal

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