« La blockchain va bouleverser le monde du droit »

Organisé pour la première fois en partenariat avec le Club des juristes, le 28e Club LexisNexis a réuni des intervenants prestigieux le 26 avril dernier au Petit Palais à Paris autour d’un thème d’innovation majeur : la blockchain, quels impacts sur le monde du droit ? Deux tables rondes se sont succédées : la première sur  le thème : Quels cas d’usage dans l’industrie juridique et le monde des affaires ? Et la seconde : Quel est le rôle des pouvoirs publics et des institutions ? Faut-il un droit spécifique de la blockchain ?

«Cette technologie a le potentiel de transformer beaucoup de secteurs comme la finance et le monde du droit » a déclaré en préambule Philippe Carillon, Chief Executive Officer LexisNexis Europe Middle East and Africa.vignetteblockchain
La conférence, animée par Caroline Sordet, directrice éditoriale de LexisNexis, a permis à d’éminents spécialistes de débattre sur les scénarios du futur.

La blockchain : comment ça marche ?

Co-fondateur de Blockchain France, Antoine Yeretzian a décrypté le sujet : « La blockchain est un réseau créé pour échanger de la valeur, dont le plus connu est le bitcoin. Les transactions sont enregistrées dans des blocs formant une “chaîne de blocs” dont les principales caractéristiques sont la résilience, la désintermédiation, l’intégrité et la traçabilité ».

Un thème en pointe. – Le directeur juridique IBM France, Bruno Massot, a précisé qu’actuellement 500 projets sur la blockchain sont en cours au sein d’IBM. Avocat, membre de l’Incubateur du barreau de Paris, Me Deroulez a souligné l’importance pour les juristes de s’intéresser à la blockchain « pour mieux accompagner leurs clients dans leurs projets »
(V. ci-contre 3 questions à).

Quelles applications concrètes ? – Ancien expert-comptable, Laurent Friscour, CEO
postme.io., a présenté un nouveau service de facturation pour les entreprises adossé à la technologie blockchain. Autres applications : en matière de cadastrage ou d’annonces légales. Certains pointent les limites. À l’image de Sylvain Juillet, notaire, rapporteur de la commission sur le numérique du 113e Congrès des notaires, pour
qui « Il est illusoire, sans tiers certificateur, de penser que la blockchain peut avoir les mêmes vertus qu’un acte authentique ». Sans compter « le coût énergétique important » et les délais « plus long que pour l’authentification actuelle ».

Dès lors, quelle réglementation pour la blockchain ? – Selon Hubert de Vauplane, associé Kramer Levin Naftalis & Frankel, il ne peut y avoir de réglementation spécifique s’agissant d’une technologie, ce qui n’exclut pas de légiférer pour lui donner des effets juridiques. À cet égard, le professeur de droit privé Florence G’sell a partagé ses réflexions sur la responsabilité juridique et le droit des contrats appliqués à la blockchain. « La blockchain suppose un code immuable. Or, quelle portée juridique lui donner ? Quelles conséquences si le code est mal écrit ? En outre, le code ne peut tout prévoir, d’où des enjeux juridiques importants ». Ancien conseiller à la Chancellerie, Pierre Berlioz, s’est montré réservé sur le besoin de légiférer « plus vite que notre ombre, dès lors qu’une technologie apparaît ». Pour conclure, la parole a été donnée à Antoine Garapon, magistrat, secrétaire général de l’Institut des Hautes études sur la Justice : « nous assistons à une révolution graphique », autrement dit une révolution qui
s’écrit en temps réel. Avec la blockchain, l’écriture est dans le code, « code is law », fonction tierce est incluse dans la technique ». La blockchain va se substituer au tiers certificateur, créant « un monde sans souveraineté » qui s’apparente à « l’état de nature ». Et de s’interroger sur la curieuse coexistence d’un monde régulé par le droit,
où le tiers garant est aussi un tiers protecteur, avec celui de l’état de nature.

« Le rôle de l’avocat évoluera du fait de la blockchain, l’IA, la justice prédictive ou encore les robots »

Pourquoi les avocats doivent-ils s’intéresser à la blockchain ?

La blockchain intéresse les avocats aujourd’hui à plus d’un titre. D’abord parce que cette technologie et son potentiel suscitent de très nombreuses questions d’ordre juridique (mode de preuve, conception de smart-contracts, identité et blockchain, transferts de titres de propriété, etc…). De plus, la multiplication des applications ou des expérimentations fondées sur la blockchain interpellent et posent de très nombreux défis aux avocats lorsqu’ils doivent accompagner leurs clients sur ces projets (notamment dans le domaine des droits de propriété intellectuelle,
littéraire ou artistique). Par ailleurs, la plupart des régulateurs ou des autorités de contrôle se positionnent aujourd’hui sur cette technologie et son impact notamment en matière bancaire et financière avec un nombre de rapports et d’études exponentiel. Et les investissements aujourd’hui consentis au niveau international
sur cette technologie sont aussi un marqueur qui doit attirer notre attention : partout la blockchain interpelle et constitue le signe de changements importants. Enfin, au-delà du phénomène de mode lié à cette technologie volontiers décrite comme « punk », l’intervention de l’avocat permet de réfléchir au cadre juridique général de
ces travaux et de poser des jalons pour les sécuriser et les pérenniser.

Les pratiques évoluent, quel sera le rôle de l’avocat demain ?
Le rôle de l’avocat évoluera forcément, du fait de l’effet conjugué de nombreuses technologies comme la blockchain, l’intelligence artificielle, la justice prédictive ou encore les robots. Nos façons de travailler, nos modèles de développement comme nos outils sont susceptibles d’être impactés. Les relations avec nos clients sont aussi d’ores et
déjà profondément modifiées par la révolution numérique et évolueront encore. S’il est difficile de prédire quel sera le rôle de l’avocat demain, il est en revanche nécessaire pour les barreaux de se pencher de près sur les conséquences croisées des innovations qui font aujourd’hui l’actualité et révolutionnent en profondeur notre économie. C’est aussi l’un des moteurs de l’Incubateur du barreau de Paris pour rapprocher l’innovation des cabinets tout en mettant en valeur les projets les plus intéressants au niveau juridique et en les accompagnant sur leurs volets éthiques et
déontologiques notamment.

Quel impact de la blockchain sur la régulation ?

La blockchain a d’ores et déjà un impact en termes de régulation et de législation. Les enjeux juridiques de la définition du bitcoin et des monnaies virtuelles comme leur appréhension par les régulateurs internationaux
ont suscité des premiers travaux législatifs ou pré-législatifs. L’ordonnance sur les mini-bons et la future ordonnance sur les titres non-cotés issue de la loi Sapin II devraient aussi jeter les bases d’un droit français de la blockchain appelé de leurs voeux par de nombreux parlementaires. Ces travaux ne se limitent pas à la France, le Royaume-Uni, le Luxembourg, l’Australie, Singapour ou les États-Unis ont d’ores et déjà lancé des réflexions législatives en
la matière. L’Union européenne a marqué son intérêt. Et des projets de norme ISO de cette technologie ont débuté.
D’ici un ou deux ans, plusieurs exemples de législations centrées sur certains effets liés à l’utilisation de la blockchain devraient avoir été adoptés – à défaut d’une régulation à proprement parler particulièrement complexe à envisager. La promotion du modèle du sandbox ou bac à sable est aussi une option à envisager sérieusement : à l’instar de certaines propositions anglosaxonnes, ce concept permet d’éviter de légiférer trop tôt dans le cas de technologies
très évolutives notamment et de permettre aux législateurs comme aux régulateurs de prendre le pouls des projets en cours. En tout état de cause, le modèle du sandbox est un appel à appréhender autrement les modes de régulation en évoluant vers des solutions de co-création, plus ouvertes et collaboratives.

Propos recueillis
par Florence Creux-Thomas

Pour télécharger l’article :La semaine juridique – Edition Générale – N°22 – 29 mai 2017

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LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°22  – 29 MAI 2017

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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