Sexe neutre à la Cour de cassation : rejet !

La Semaine Juridique Edition Générale n°24 – 12 Juin 2017

ÉDITO

Denis Mazeaud

Les raisons avancées pour exclure le sexe neutre au nom de notre organisation juridique peinent à convaincre.

À la question de savoir si la mention « sexe neutre » peut être inscrite sur les actes de l’état civil, la Cour de cassation répond clairement et ferment « non » ! L’affaire est donc entendue et, à la vérité, la décision était attendue ( Étude M. Gobert à paraître dans le prochain numéro ). Pour rejeter les hermaphrodites dans les oubliettes de l’état civil, les conseillers de la première chambre civile ont d’abord affirmé que « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin ». Ce qui se discute, puis qu’aucun texte ne porte une telle interdiction, notamment pas l’article 57 du Code civil, qui dispose simplement que l’acte de naissance doit énoncer le sexe de l’enfant. Ils ont ensuite considéré que « la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce qu’elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur » et que, dès lors, « la reconnaissance par le juge d’un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ». On aurait aimé que l’affirmation soit un tantinet plus motivée. D’une part, si la Cour avait succombé, en l’espèce, à la prétention du requérant, on ne voit pas en quoi notre ordre social en aurait été bouleversé, sauf à considérer qu’en rendant son arrêt, elle aurait créé une règle générale et abstraite, ce que notre organisation institutionnelle exclut jusqu’à plus ample informé. D’autre part, comme cela a déjà été écrit, la loi sur le mariage pour tous aidant, la mention du sexe « n’emporte plus guère de conséquences, puisque les règles de droit qui prennent appui sur la différence des sexes ont toutes disparu » ( R. Libchaber : D. 2016, p. 20), à quelques rares exceptions près. D’ailleurs, dans son communiqué, la Cour de cassation éprouve bien des difficultés à recenser de telles règles : après avoir affirmé que « la binarité des sexes se retrouve dans de nombreuses dispositions législatives », elle mentionne, pour étayer son propos, l’article 388 du Code civil et l’article L. 131-1 du Code de l’éducation sur l’instruction obligatoire… La pêche n’est pas miraculeuse et les raisons avancées pour exclure le sexe neutre au nom de notre organisation juridique peinent donc à convaincre. Ils ont, enfin, décidé que « l’atteinte au respect de la vie privée du demandeur au pourvoi n’était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ». En l’occurrence, celui-ci présentait l’apparence et le comportement social d’une personne appartenant au sexe indiqué sur son acte de naissance. Par conséquent, son droit au respect de la vie privée devait, faute de disproportion, s’incliner face aux fondations de notre ordre social et juridique. En serait-il allé autrement dans le cas inverse ? Mystère et boule de gommes. On ajoutera que, selon un observateur particulièrement avisé ( B. Moron-Puech : Dalloz étudiant, 1 er juin 2017 ), saisie de la même question, la Haute Cour d’Australie a, pour sa part, considéré que la reconnaissance d’un troisième sexe ne remettait pas en cause son système juridique en raison du faible nombre de règles reposant sur l’identité sexuelle. Comparaison n’est pas raison, certes, mais elle pose néanmoins question…

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LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°24  – 12 JUIN 2017

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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