Presse : plus d’excuse de provocation pour les injures raciales ni « homophobes »

Extrait de la revue mensuelle LexisNexis Jurisclasseur : DROIT PÉNAL –  Juin 2017

Entretien avec : Fabrice DE KORODI, avocat au barreau de Paris – Avens Lehman et associés

Approuvez-vous l’exclusion de l’excuse de provocation en matière raciale par la loi Égalité et citoyenneté du 27 janvier 2017 ?
Fabrice de Korodi : Totalement. L’excuse de provocation opposée par l’auteur d’une injure à caractère racial comme moyen de défense dans un prétoire correctionnel apparaît surréaliste dans la France d’aujourd’hui. D’autant qu’il est franchement douloureux pour les victimes de propos racistes ou plus généralement discriminatoires d’avoir à se défendre du prétexte d’une provocation alors que rien ne peut justifier une invective raciste. Une injure raciste est nécessairement sans aucun rapport avec ce qui a pu être dit précédemment de sorte que le débat sur une provocation ne doit pas avoir lieu. L’excuse de provocation s’entend comme « tous faits accomplis volontairement dans le but d’irriter une personne et venant par suite expliquer et excuser les propos qui lui sont reprochés »
(Cass. crim., 17 janv. 1936 : Gaz. Pal. 1936, 1, 320). Elle est admise de manière désordonnée dans l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 qui accumule plusieurs générations de loi. C’est ainsi que cet article prévoit l’excuse de provocation pour les injures envers les particuliers (alinéa 2) et, jusqu’à la loi [n° 2017-86] du 27 janvier 2017, pour les injures à caractère racial.

L’excuse de provocation a-t-elle souvent été retenue en matière d’injure raciste ?
Fabrice de Korodi : C’était tellement archaïque que les juges ne la retenaient pratiquement jamais.Les décisions sont toutes du siècle dernier et la plus récente publiée au bulletin de la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 13 avr. 1999, n° 98-81.625 : JurisData
n° 1999-001996 ; Bull. crim. n° 77) rejette toute excuse de provocation au propos du président de SOS RACISME qui avait déclaré que Jean-Marie Le Pen avait « du sang sur les mains » et que sa responsabilité directe était engagée dans la profanation du cimetière juif de Carpentras ; en riposte, celui-ci avait qualifié Fodé Sylla de « gros zébu fou ». Les conditions de l’excuse de provocation et notamment la nécessité d’une riposte immédiate ou irréfléchie et le contrôle de la proportionnalité entre l’attaque et la réplique avaient permis aux juges de rejeter ce moyen de défense. Mais encore une fois, la suppression par la loi du 27 janvier 2017 de cette immunité spéciale à l’injure est un vrai progrès puisqu’elle purge le débat devant le tribunal de ce type d’arguties.

Cette exclusion peut-elle s’étendre aux autres injures qualifiées, notamment à l’injure à caractère sexuel ?
Fabrice de Korodi : Oui et cela vient d’être jugé par le tribunal correctionnel de Nanterre dans un jugement définitif du 7 mars 2017. En l’espèce, un chroniqueur de presse était intervenu sur une radio à l’occasion d’un débat sur les auto-écoles qu’il avait qualifiées de « mafia ». Dans la semaine qui suivait, le président d’un syndicat professionnel publiait une lettre ouverte sur son blog dans des termes d’une telle grossièreté qu’ils ne prêtaient pas à discussion sur leur qualification d’invectives injurieuses à raison de l’orientation sexuelle réelle ou supposée du chroniqueur de presse. La défense a plaidé l’excuse de provocation en estimant que l’article 33, alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1881 qui énonce : « Sera punie des peines prévues à l’alinéa précédent l’injure commise dans les mêmes conditions envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap. », laisse penser que le renvoi à l’alinéa précédent (injures à caractère racial) ouvre la voie au débat sur une provocation. Dans son jugement du 7 mars 2017, le tribunal correctionnel écarte cette interprétation en considérant que « l’injure commise en raison de l’orientation sexuelle ne peut bénéficier de l’excuse de provocation, telle qu’elle est visée à l’alinéa 2. L’alinéa 4 qui renvoie à l’alinéa 3 ne le fait qu’au regard des peines et non pas des conditions relatives à la commission de l’infraction ». Ce jugement doit être pleinement approuvé dans le raisonnement juridique qu’il fixe qui est exact : l’alinéa 4 opère un simple renvoi de pénalité alors que, par comparaison, l’alinéa 3 d’avant la loi du 27 janvier 2017 (les injures jugées à Nanterre dataient de juin 2016) énonce non seulement la peine encourue mais reprend aussi « les conditions prévues à l’alinéa précédent » c’est-à-dire l’excuse de provocation de l’injure envers un particulier.

Télécharger la suite de l’entretien au format PDF

Revue Droit Pénal LexisNexis
DROIT PÉNAL – REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR – JUIN 2017

L’expertise des meilleurs pénalistes au service de tous les professionnels du droit

AUTEUR(S) : Philippe Conte, Albert Maron, Jacques-Henri Robert

S’abonner