Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°25
LA SEMAINE DU PRATICIEN INFORMATIONS PROFESSIONNELLES
« Par l’importance et la généralité des principes qu’il consacrera, le Pacte mondial pour l’environnement constituera un texte pilier du droit international de l’environnement »
3 questions à Yann Kerbrat, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), membre de la Commission Environnement du Club des juristes
Le président Trump a annoncé le 1 er juin la décision des États-Unis de sortir de l’Accord de Paris provoquant la consternation de la plupart des pays dans le monde. Parallèlement, le 24 juin sera dévoilé un avant-projet de Pacte mondial pour l’environnement, auquel a participé la Commission Environnement du Club des juristes et 150 experts consultés par elle.
Comment s’opérera la sortie par les États-Unis de l’Accord de Paris ?
La « sortie » par les États-Unis peut prendre deux voies dont les effets sont très différents. Les États-Unis peuvent décider de dénoncer l’Accord de Paris selon les modalités et conditions spécialement prévues à cet effet dans l’Accord lui-même. Telle décision serait alors subordonnée au respect d’un délai : l’article 28 prévoit qu’un État partie ne peut notifier sa décision avant trois ans à compter de la date d’entrée en vigueur de l’Accord. Celle-ci étant intervenue le 4 novembre 2016, les États-Unis devraient ainsi patienter jusqu’au 5 novembre 2019 pour dénoncer l’Accord. Selon la même disposition, la dénonciation prendrait alors effet un an après sa notification. Soit au plus tôt deux jours après les élections présidentielles américaines de 2020. La seconde voie que pourraient emprunter les États-Unis serait de dénoncer non pas l’Accord de Paris lui-même mais la Convention cadre de Rio sur les changements climatiques du 9 mai 1992 (CNUCC). L’Accord de Paris prévoit dans son article 28, § 3, que « toute partie qui aura dénoncé la Convention sera réputée avoir dénoncé également [l’]Accord ». La solution est simple, dès lors : il suffi t de dénoncer la CNUCC pour sortir de l’Accord. La CNUCC contient pour sa dénonciation une disposition identique à celle de l’article 28 de l’Accord, mais le terme du délai de trois ans a été atteint pour CNUCC en 1997. En conséquence, la dénonciation de la Convention par les États-Unis et, incidemment, de celle de l’Accord de Paris, prendrait effet un an après sa notification.
Quelles seront les conséquences de cette sortie ?
Les conséquences diffèrent selon les modalités retenues. La dénonciation du seul Accord de Paris par les États-Unis aurait pour conséquence qu’ils resteraient tenus par les obligations de l’Accord pendant au moins quatre ans. Ils pourraient participer à la vie des organes de la CNUCC et de l’Accord, en particulier aux COP et profiter de cette présence pour peser sur les décisions qui seront négociées pendant cette période. La sortie de l’Accord précédée de celle de la CNUCC n’emporterait pas pour les États-Unis de conséquences bien différentes du point de vue des obligations qui pèsent sur eux, sinon qu’elle leur permettrait de mettre fin à leur contribution financière aux organes établis par la Convention ou sur son fondement. L’effet pour ces institutions serait sans doute délétère mais pas insurmontable. En revanche, la dénonciation de la CNUCC par les États-Unis exclurait toute participation de ceux-ci aux négociations de futurs accords et décisions relatifs au climat. Les États-Unis se retrouveraient ainsi mis au ban de la communauté internationale du climat, qui réunit actuellement les 196 États ainsi que l’Union européenne parties à la CNUCC. Cette situation pourrait à terme leur être très préjudiciable, et ce alors que dans le même temps plusieurs collectivités territoriales américaines, dont plusieurs États fédérés des États-Unis, ont affirmé leur volonté de continuer leur action en faveur de la réduction des gaz à effet de serre, conduisant ainsi à un effacement de l’État fédéral sur la scène internationale au profit des collectivités infra-fédérales américaines.
Dans ce contexte, pourquoi un Pacte mondial pour l’environnement ?
L’avant-projet de Pacte mondial pour l’environnement, auquel la Commission Environnement du Club des juristes travaille activement à l’initiative du président
Fabius (JCP G 2017, entretien à paraître), vise principalement à codifier et consolider dans un traité une vingtaine de règles générales et principes du droit
international de l’environnement qui sont essentiellement formulés dans des instruments de soft law , et ce, quoique plusieurs d’entre eux ont été repris et développés dans des instruments sectoriels de protection de l’environnement et/ou ont acquis une valeur coutumière en droit international. Le projet consacrera ainsi le droit de chacun à vivre dans un environnement sain, inégalement reconnu dans le monde, ainsi qu’un droit à la participation du public. Il comportera plusieurs dispositions destinées à guider l’action des pouvoirs publics (prévention, précaution, devoir de légiférer et de garantir une application effective aux normes environnementales, etc.). L’objectif premier du projet est de renforcer l’efficacité de ces principes, dont l’autorité est parfois contestée, en les inscrivant dans un instrument de droit dur qui, à l’image des deux pactes de 1966 sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques sociaux et culturels, sera ouvert à la ratification universelle des États. D’abord, par l’importance et la généralité des principes qu’il consacrera, le pacte constituera un texte pilier du droit international de l’environnement. Il sera vecteur d’unité et d’harmonisation dans une matière dispersée dans des centaines de traités et autres instruments sectoriels de protection de l’environnement, dont le foisonnement rend l’articulation complexe et l’application incertaine. Ensuite, il insistera sur le rôle des acteurs non étatiques, central pour l’application des principes environnementaux, notamment pour pallier les attitudes de repli des États. Les réactions des grandes entreprises et des collectivités territoriales américaines après l’annonce du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, l’illustrent avec éclat. Consacrées dans un traité, il sera possible aux individus, aux ONG, de se saisir de ces règles pour en contester la violation jusque devant les juridictions internes et d’en renforcer ainsi l’efficacité.
LexisNexis partenaire du lancement du projet « Pacte mondial pour l’environnement »
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°25 – 19 JUIN 2017
La Semaine Juridique – Édition Générale
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck