« L’automatisation juridique : réalités, impacts et opportunités », tel était le thème de la table ronde du 37ème Club LexisNexis qui s’est tenu le 5 juillet dernier à l’Open Mind Kfé à Paris. Cette thématique inaugurait un nouveau format pour le Club LexisNexis, qui sera désormais uniquement centré sur les problématiques liées à l’innovation dans l’industrie du droit.
De G à D : Guillaume Deroubaix, Pierre Aïdan, Sacha Boyer, Lise Damelet, Nicolas Guérin
On constate aujourd’hui une accélération forte liée à la technologie qui permet de nouveaux cas d’usage » déclarait en introduction Philippe Carillon, CEO LexisNexis EMEA. Rappelant combien l’innovation digitale était au coeur de la stratégie de LexisNexis en France et dans le monde, Philippe Carillon a annoncé à l’occasion de ce club la conclusion d’un partenariat stratégique avec Legalstart (V. http://www.tendancedroit.fr/lexisnexislegalstart-fr-sallient-accelerer-developpement-de-lactivite-cabinets-davocats/. – JCPN 2017, n° 28, act. 719). En introduction de la table ronde, Guillaume Deroubaix, membre du comité exécutif de LexisNexis EMEA, faisait 3 constats : l’ampleur des mutations permises par des technologies de plus en plus sophistiquées obligent à adapter les modèles de toutes les professions du droit, l’accès aux data va bouleverser nos pratiques et en engendrer de nouvelles, enfin la dimension culturelle (comprendre les métiers et les activité de demain et s’y préparer) est prégnante et il s’agit là d’un enjeu majeur pour la communauté juridique.
Pour justement comprendre les enjeux et les tendances de l’« automatisation des services juridiques » plusieurs intervenants, experts et acteurs : Lise Damelet, Of Counsel, avocat à la Cour, Orrick Rambaud Martel Paris, cofondatrice de l’Incubateur du barreau de Paris, Nicolas Guérin, directeur juridique d’Orange et président du Cercle Montesquieu, Pierre Aïdan, co-fondateur, directeur du développement juridique de Legalstart et Sacha Boyer, cofondateur de MyNotary (Ndlr : un partenariat entre LexisNexis et MyNotary était annoncé le lendemain de cette conférence). Que recouvre l’automatisation des services juridiques ? Comment une direction juridique, un cabinet, une étude mettent à profit les nouveaux outils ? Comment les professionnels du droit abordent-ils ces changements ? Quels types d’investissements sont nécessaires ? Comment gérer le changement dans le cadre d’un groupe tel qu’Orange ? Quelles sont les prochaines étapes de l’automatisation ? Des questions auxquelles les intervenants ont apporté leur retour d’expérience.
« L’automatisation est une chance si elle est prise en compte suffisamment tôt et surtout maîtrisée »
Comment voyez-vous l’avenir de la profession concernant l’automatisation juridique ?
L. D. : La profession d’avocat a déjà commencé sa mue. Depuis la création de l’Incubateur du barreau de Paris il y a 4 ans, nous mesurons combien les avocats s’emparent progressivement de l’outil technologique après avoir rejeté l’idée même de cette évolution dans la société française, lutté contre l’arrivée des legaltechs portées par des non-professionnels du droit et soutenu que la prédiction numérique n’avait pas sa place dans notre profession. Le futur de l’automatisation créera un avocat « augmenté » qui se servira des outils de croisement d’informations
et de statistiques pour peaufiner sa stratégie contentieuse, utilisera des bases de données intelligentes pour travailler sur le quantum prévisionnel des amendes, reverra en un temps record les clauses des contrats préalablement identifiées par un logiciel qui alertera également l’avocat de leur irrégularité grâce à une base de données (textes et jurisprudence) à jour. L’avocat « augmenté » dématérialisera la quasi-totalité de sa relation avec son client pour plus de flexibilité et lui fournira des outils juridiques-numériques internes, qu’il aura créés, relais de son travail de conseil externe. Il répondra aux questions de fond, techniques et stratégiques, du client qui réceptionne un document automatiquement généré, grâce à des partenariats utiles tant aux legaltechs des non-professionnels du droit qu’aux avocats eux-mêmes.
Quels sont les bénéfices de l’automatisation sur la fonction juridique dans l’entreprise ?
N. G. : Selon certaines études, les fonctions juridiques sont considérées comme partiellement automatisables, avec 18 % des taches juridiques qui pourraient être automatisées d’ici 2025 ce qui à l’évidence aura un impact majeur sur nos fonctions au sein des entreprises. Nous avons un choix à faire : soit nous restons observateur au risque de voir notre profession rapidement débordée voire réduite, soit nous prenons en main ce sujet et faisons en sorte de maîtriser ces évolutions, de les intégrer pour en faire des atouts pour améliorer notre fonctionnement et notre efficacité.
Ce sujet est d’autant plus grave que si nous prenons trop de retard par rapport à nos compétiteurs hors de France cette automatisation accélérera le phénomène que nous constatons de « mondialisation du droit » au profit du droit anglo-saxon : peu importe en effet le lieu où se trouve un bot, un automate n’a pas de nationalité, il peut aisément parler de nombreuses langues. Attention à ce que la France et plus généralement l’Europe ne prennent pas de retard en la matière car ce sera là encore un facteur d’accélération de la délocalisation de nos professions juridiques vers des lieux qui pourraient apparaître comme plus compétitifs que la France.
L’automatisation est une chance si elle est prise en compte suffisamment tôt et surtout maîtrisée. Richard Susskind la décrivait comme le fait de « décomposer – ou désagréger – le travail en différentes opérations afin d’identifier celles qui peuvent être réalisées différemment, de façon plus efficace car moins coûteuse, sans en affecter la qualité, voire même en l’améliorant ». C’est cette définition très positive que je souhaite retenir, elle n’oppose pas l’homme à la machine mais permet à celle-ci d’augmenter les capacités humaines.
Nous devons passer de la théorie à la pratique en identifiant les nouveaux usages qui permettront d’augmenter les capacités de nos fonctions et les implémenter dans nos entreprises. Concrètement, c’est mettre l’automatisation au service de la formation (serious game, e-learning etc. ), de la performance (aide à la décision, gain de temps, justice prédictive, IA dans la recherche de références etc.), de l’amélioration de la productivité et des nouveaux services juridiques (data base intelligente permettant de produire des contrats types ou des analyses de risques, chat bot juridique, etc.).
Nous devons accompagner la mutation de nos métiers pour créer à partir de l’ancienne une nouvelle génération de « juristes augmentés ».
Quelles sont les prochaines étapes du développement de MyNotary ?
S. B. : L’équipe MyNotary est actuellement mobilisée sur trois développements : la collaboration, marque de fabrique de MyNotary. Nous continuons à développer de nouveaux outils pour rendre le lien notaire – agent immobilier – client plus simple. De nouvelles fonctionnalités feront leur apparition dans quelques semaines… Ensuite les offres Promotion et Bailleur social : annoncées lors du MIPIM, ces offres sont d’ores et déjà utilisées par nos partenaires pour simplifier la commercialisation de leurs lots sur plusieurs programmes immobiliers.
Enfin l’interconnexion : nous échangeons avec les différents outils de la profession pour « déverser » les informations saisies dans MyNotary directement dans la trame d’acte des notaires.
Avec plus de 60 000 utilisateurs pour Legalstart, y a t-il un utilisateur type ?
P. A. : Nos services s’adressent à tous les entrepreneurs français quel que soit leur âge, activité ou géographie. Toutes les TPE et petites PME sont concernées et ont recours à notre plateforme. Par exemple, nous proposons des solutions à la fois aux nombreux chauffeurs VTC dans le cadre de notre partenariat avec Uber et, dans le même temps, aux jeunes pousses de la Fintech ou de l’Edutech française. Contre intuitivement, il n’y a pas de biais générationnel.
Ce qui change c’est l’usage de la plateforme avec plus d’interactions mail et téléphone pour les plus de 40 ans. Les régions et l’outre-mer sont également très bien représentées : en définitive, les utilisateurs Legalstart sont situés partout où il y a des projets et de l’activité. ■
Propos recueillis
par Hélène Béranger