Extrait de la Semaine Juridique Edition Générale
EDITO
Je reste Charlie !
« Il n’appartient qu’à la loi, toute la loi mais rien que la loi, de tracer les frontières de cette liberté que des dessinateurs ont chérie de vie à trépas. »
Charlie Hebdo a encore frappé ! Après les attentats terroristes de Barcelone perpétrés par un gang de pseudo-musulmans décérébrés, le journal bête et méchant a publié une « Une » sur laquelle est dessinée une camionnette qui prend la poudre d’escampette en laissant derrière elle des corps qui gisent dans une flaque de sang. Légende de cette couverture : « Islam, religion de paix…éternelle ! ».
Branle-bas de combat sur les réseaux sociaux ! Charlie est accusé d’un amalgame honteux entre Islam et terrorisme, et d’attiser la haine anti-musulman qui gangrène nos villes et nos campagnes. Drapé dans sa dignité, un ex-ministre a solennellement pris ses distances avec cette « Une » scélérate : « Les amalgames sont très dangereux ».
Certains se souviennent peut-être qu’après l’émouvant hommage rendu ici et là aux pirates de la liberté d’expression tombés le crayon à la main, assassinés par des barbares au nom du respect dû à l’image du Prophète, Willem, complice de Cabu, Charb, Tignous et Wolinsky, avait prédit : « L’émotion va durer deux semaines. Et je suis optimiste »… Funeste prédiction, à la vérité, mais l’avenir lui a donné raison et l’histoire se répète. Aujourd’hui comme hier, c’est toujours la même écoeurante rengaine qui est entonnée en choeur. Déjà, il y a quelques mois,
après un numéro du journal bête et méchant qui avait publié de nouvelles caricatures du prophète, un éditorialiste de L’Obs avait rendu son implacable sentence, pour fustiger la coupable irresponsabilité de ses irrévérencieux confrères : « Certes, la liberté est un bien précieux et inaliénable. L’intelligence aussi… ».
Aujourd’hui, Charlie est la cible de très virulentes critiques parce qu’il a encore osé répliquer par l’humour au fanatisme dissimulé sous le masque grossièrement contrefait de l’Islam.
Passons sur les accusations d’amalgame proférées par quelques esprits invertébrés ! C’est faire injure aux lecteurs
de Charlie de penser qu’un seul d’entre eux soit assez bête ou méchant pour tomber dans ce panneau. Mais l’essentiel est ailleurs, dans le mauvais procès dont Charlie est à nouveau victime. Ce qui est, en effet, en jeu, c’est la liberté d’expression au nom de laquelle Charlie Hebdo doit pouvoir se moquer aussi bêtement et méchamment qu’il lui plaît de toutes les religions sans exception. « Le blasphème en lui-même ne peut pas constituer un délit » a écrit Henri Leclerc : il n’appartient donc qu’à la loi, toute la loi mais rien que la loi, et pas à quelques politiciens démagogues ou éditorialistes lénifiants, de tracer les frontières de cette liberté que des dessinateurs ont chérie de vie à trépas. L’humour, la satire, la caricature sont des biens trop précieux pour la démocratie : remparts de la liberté et remèdes contre les sanguinaires effluves de l’opium du peuple.
Laisser entendre, car c’est bien le message à peine subliminal que répand la meute des donneurs de leçons et des internautes haineux que la mort de ses dessinateurs, voire des victimes des attentats, est imputable à la liberté d’expression telle que l’exerce Charlie , lequel aurait perdu le sens de toute responsabilité morale, c’est entonner un hymne sinistre à l’autocensure, faire le lit de tous les extrémismes et injurier la mémoire de ceux qui n’avaient que la pointe de leurs crayons pour dénoncer le fanatisme religieux. Je n’irai pas cracher sur leurs tombes.
Denis Mazeaud
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 39 – 25 SEPTEMBRE 2017 – © LEXISNEXIS SA
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