Extrait de la Semaine Juridique Edition Générale
EDITO
« Après la cessation de vos fonctions »
« Ces discussions libres sont un moment de partage bienvenu pour certains jurés qui ont vécu difficilement la lourde responsabilité de juger leurs pairs. »
Pascale Robert-Diard
Lors d’une session de formation à l’École nationale de la magistrature consacrée à la présidence des cours d’assises, un juré témoignait de son expérience avec autant de sensibilité que de pertinence. Ce qui l’avait le plus marqué, disait-il, avait été de mesurer à quel point, lors du délibéré, le vote en faveur de la culpabilité d’un accusé avait tenu « à peu de chose » . Sa remarque valait aussi pour le quantum de la peine qui avait été prononcée. On sentait, en l’écoutant, que ce moment de « bascule » et le cas de conscience qu’il lui posait le hanteraient longtemps.
Combien sont-ils chaque année, ces femmes et ces hommes désignés pour être juges de quelques jours, à éprouver ce sentiment lorsqu’ils sont rendus brusquement à leur vie ordinaire de citoyens ? Et avec qui en parler ? Le serment des jurés que le président leur a lu solennellement à l’ouverture de l’audience et qu’ils ont juré de respecter, leur intime l’ordre de « conserver le secret des délibérations, même après la cessation de [leurs] fonctions ». À ces questions, Régis de Jorna, qui préside les assises à Paris, tente depuis quelques mois d’apporter une réponse. Après chaque session, il écrit aux jurés pour leur proposer une rencontre informelle, afin d’échanger sur ce qu’ils ont vécu. Pas une cellule « psychologique » comme elles fleurissent un peu partout, mais un simple moment de dialogue et de « retour d’expérience ». L’idée lui en est venue après avoir présidé en appel à Bobigny le procès sur le génocide du Rwanda. Après six semaines d’une audience dense, ardue, il avait ressenti la nécessité de ne pas « abandonner » en quelque sorte tous ceux qui avaient donné leur temps à la justice. Régis de Jorna est parti d’un constat partagé par la majorité de ses collègues. Lorsqu’ils se présentent pour une session, beaucoup de jurés maudissent le tirage au sort qui les a désignés et sollicitent des dispenses. Une fois écartées celles qui sont indiscutables, le président explique solennellement aux réticents qu’ils doivent remplir leur devoir citoyen, avec éventuellement un rappel sévère à la loi qui prévoit même des sanctions en cas de défaillance non excusée. « Et puis, dit-il , lorsque le dernier procès de la dernière session se termine, parfois tard le soir, on a à peine le temps de les saluer et de les remercier avant de les laisser repartir. » Son initiative rencontre à chaque fois un franc succès. Plus de la moitié des jurés répondent à son invitation et ceux qui, pour des raisons professionnelles, ne peuvent se joindre à la rencontre, prennent le temps d’échanger par écrit avec lui. « Tous expriment ce sentiment d’avoir vécu quelque chose de très important dans leur vie qu’ils ne peuvent pas vraiment partager avec leurs proches et en parler leur fait du bien. » S’il n’est pas
question de refaire le délibéré, ces discussions libres permettent souvent à ceux qui étaient dans le camp des minoritaires de mieux « digérer » le verdict rendu. Elles sont aussi un moment de partage bienvenu pour certains jurés qui ont vécu difficilement la lourde responsabilité de juger leurs pairs. L’idée mériterait d’essaimer, Mesdames et Messieurs les président(e)s.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 40 – 2 OCTOBRE 2017 – © LEXISNEXIS SA
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck