Extrait de LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION SOCIALE
Les ordonnances n° 2017-1385 à 2017-1389 du 22 septembre 2017 ne traduisent assurément pas une « transformation » du droit du travail. Elles participent, en revanche, d’une évolution à laquelle ont notamment contribué, après les lois du 4 mai 2004 et du 20 août 2008, celles du 14 juin 2013, du 17 août 2015 et du 8 août 2016. Elles s’inscrivent dans un mouvement visant à accroître le champ laissé au jeu conventionnel, que ce soit dans le cadre de l’entreprise ou dans celui de la branche, et à offrir à l’entreprise davantage de souplesse, notamment dans la gestion de ses effectifs. Sur ce corpus désormais assez classique est venue se greffer la volonté de simplifier l’architecture de la représentation collective des salariés dans l’entreprise par fusion des délégués du personnel, du comité d’entreprise et du CHSCT en une instance unique, le comité social et économique… dont les débuts risquent d’être quelque peu chaotiques.
1 – Libération. – « Libérer les énergies »… La formule a beaucoup servi tout au long du processus qui a conduit à l’adoption des ordonnances n° 2017-1385 à 2017-1389 du 22 septembre 2017 portant création, modification ou abrogation de plusieurs centaines d’articles du Code du travail. Seront-elles « libérées » parce que le comité d’entreprise, assorti d’une commission spécialisée à qui sont données les attributions naguère dévolues au CHSCT, est rebaptisé « comité social et économique », que peupleront, jusqu’à ce que l’effectif de l’entreprise atteigne le seuil de cinquante salariés, les anciens délégués du personnel ? Le seront-elles parce qu’est réaffirmée l’importance du rôle des conventions et accords collectifs de branche,parce que les indemnités dues au salarié victime d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse sont enfermées dans un barème assorti de tant d’exceptions qu’il pourrait bien, en pratique, être privé de beaucoup d’intérêt ou qu’est donné aux entreprises appartenant à un groupe international l’espoir que leurs éventuelles difficultés économiques seront appréciées dans le seul cadre national alors que plane la menace de contentieux dont l’issue pourrait se révéler fort aléatoire ?Les promoteurs de ces mesures en sont vraisemblablement convaincus, encore qu’il soit parfois difficile de démêler ce qui relève de l’intime conviction de ce qui n’est que discours de circonstance… Fallait-il, pour autant, se lancer, selon un mode accéléré, dans la construction d’une cathédrale de papier là où il aurait suffi de modifier quelques dizaines d’articles du Code du travail pour parvenir, si seul l’essentiel avait retenu l’attention, au même résultat ?
2 – Illusion. – Sans doute l’occupation d’un grand nombre de pages du Journal officiel était-elle nécessaire pour accréditer l’idée d’une « transformation » du droit du travail, rendant par là-même inutile la « refondation »prévue à l’article 1er,désormais abrogé,de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 (Ord. n° 2017-1385, 22 sept. 2017, art. 14).Les mesures inscrites dans les ordonnances du 22 septembre 2017 participent en vérité d’une évolution entamée depuis longtemps à laquelle cinq textes – les lois du 4 mai 2004, 20 août 2008, 14 juin 2013, 17 août 2015 et 8 août 2016 – ont puissamment contribué. Elles marquent une étape supplémentaire dans la voie susceptible de conduire à la construction d’un droit du travail s’efforçant à l’équilibre entre aspirations des salariés et souhaits des employeurs au nom du seul intérêt qui devrait guider les uns et les autres – car l’oublier a toujours, pour tous, des effets dévastateurs – celui de l’entreprise.
Que les pouvoirs publics, en 2017, aient voulu ajouter une pierre à l’édifice est salutaire.De là à attendre qu’elle contribue, plus que les précédentes,à donner un nouvel élan à l’économie française et à la mettre en situation d’atteindre les 3 % de croissance enregistrés en d’autres lieux,y compris sur le territoire européen,il y a un pas qu’il serait hasardeux de franchir.Une législation du travail équilibrée est une condition, parmi d’autres, du développement de l’entreprise ; elle n’en est pas la clé. Celle-ci est ailleurs : dans les charges fiscales et sociales que supporte l’entreprise ; les contraintes réglementaires qu’elle doit gérer au quotidien ; l’instabilité normative qui fragilise tout projet, rien ne garantissant, tant le législateur français est versatile, que les bases sur lesquelles il a été construit n’auront pas été modifiées quelques mois plus tard. À cette instabilité, les ordonnances du 22 septembre 2017 ne manquent d’ailleurs pas d’apporter leur contribution, ne serait-ce que dans le champ de la négociation collective,modifiant des dispositions qui, à des degrés divers, le furent déjà chaque année depuis 2008…
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JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION SOCIALE N° 38. 26 SEPTEMBRE 2017 – © LEXISNEXIS SA
La Semaine Juridique – Social
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AUTEUR(S) : Bernard Teyssié, Jean-Denis Combrexelle, Jean-Yves Frouin, François Favennec-Héry, Bernard Gauriau, Pierre-Yves Verkindt