Assemblée nationale et les avis du conseil d’état

L’ASSEMBLÉE NATIONALE ET LES AVIS DU CONSEIL D’ÉTAT – Actes du colloque Hôtel de Lassay 25 novembre 2016

Ouverture du colloque
Allocution de Claude
Bartolone

Claude Bartolone,
président de l’Assemblée nationale

Mesdames et messieurs, il y a deux ans, quasiment jour pour jour, se tenait ici même un colloque réunissant les principaux acteurs de la procédure législative. Partant du remarquable travail effectué dans le cadre de la mission « Mieux légiférer », par deux députés appartenant respectivement
à la majorité et à l’opposition, Régis Juanico et Laure de La Raudière – dont je salue ici la présence –, nous avions, ensemble, formulé un certain nombre de constats et évoqué plusieurs pistes d’amélioration de la fabrique de la loi dans notre pays.
À cette occasion, avec plusieurs d’entre vous et dans le prolongement du rapport Balladur, j’avais émis le souhait que soient désormais publiés les avis du Conseil d’État relatifs aux projets de loi du Gouvernement, dès lors que ces derniers sont soumis au vote des parlementaires. Les colloques n’étant pas – qu’on se le dise ! – toujours sans effet, le président de la République annonçait deux mois plus tard, à l’occasion de ses voeux aux corps constitués, qu’il mettait fin au secret qui entoure ces avis.
C’est ainsi que le Conseil d’État fit pleinement son entrée dans les débats de notre hémicycle. En effet, cette publicité est venue s’ajouter à la révision constitutionnelle de 2008, qui a ouvert, à l’article 39 de notre loi fondamentale, la possibilité pour les présidents des deux chambres de soumettre au Conseil d’État, pour avis, une proposition de loi avec l’accord de son auteur. Au regard de cette évolution – des textes et des pratiques –, il est apparu important que nous puissions aujourd’hui nous réunir, non simplement pour dresser un premier bilan, mais aussi pour donner une publicité et une direction à cette nouvelle relation qui unit nos deux institutions.
À ce titre, je tiens à remercier sincèrement le vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, qui a accepté le principe de cette rencontre. Je remercie également les organisateurs de ce colloque, en particulier les services de la section du rapport et des études, et leur présidente, Maryvonne de Saint-Pulgent, ainsi que notre partenaire, La Semaine Juridique, qui publiera les actes de cette matinée.
Je tiens également à saluer tous les intervenants, ainsi que tous les membres de la juridiction administrative qui nous font le plaisir d’être parmi nous aujourd’hui. Notre réunion est un formidable démenti à celles et ceux qui, au sein de la doctrine, dénonçaient il y a encore peu, une « association imprudente », une « aventure hasardeuse » pour le Conseil d’État, ou encore le risque d’une mise en cause de la souveraineté du Parlement.
Au cours de cette matinée, les deux sujets que nous venons d’évoquer feront l’objet d’un débat. Ces deux thèmes, en vérité, s’entrecroisent et convergent vers un double objectif que j’ai tenté de poursuivre depuis le premier jour de mon élection en qualité de président de l’Assemblée nationale : participer à la réflexion sur la nécessaire amélioration de la fabrique de la loi, et préparer l’Assemblée nationale du non-cumul des mandats.
S’agissant du premier point, c’est un objectif que nous partageons tous ici. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’étude annuelle de 2016, dans laquelle le Conseil d’État, pour la troisième fois depuis 1991, s’est penché sur la question de la simplification du droit. Puis de consulter les quinze propositions de la mission parlementaire sur la simplification législative que j’ai évoquée en introduction. Nos conclusions et nos propositions, inspirées des meilleures pratiques européennes, se rejoignent et se confondent bien souvent.
Or, puisque nous évoquons les pays qui ont enregistré les meilleurs résultats en matière de simplification législative, force est de constater que, chez nos voisins européens, l’avis du Conseil d’État ou de l’institution équivalente est généralement rendu public. Il n’y a, au fond, qu’en Espagne et en Norvège que ces avis restent confidentiels. PhotoClaudeBarteloneLa nécessité apparaît d’autant plus évidente compte tenu des mouvements de constitutionnalisation et de conventionnalisation du droit. Dès lors que la loi peut être censurée ou écartée en raison de sa méconnaissance de la Constitution ou d’une convention internationale, il semble absurde de ne pas permettre à celles et ceux qui la votent, de connaître, grâce à ces avis, les risques juridiques encourus par tel ou tel article.
Bien sûr, j’entends les craintes suscitées par cette réforme, au premier rang desquelles celle que le Conseil d’État applique désormais un principe de précaution juridique et qu’il réduise de ce fait la liberté du Gouvernement. Pour autant, on ne me convaincra pas que faire voter, dans l’obscurité, un projet de loi par des parlementaires soit, en 2016, une pratique vertueuse. Ce qui ne signifie nullement – et je le réaffirme – que la transparence ne puisse pas avoir des limites. Au cours de cette législature,  je me suis d’ailleurs toujours efforcé de faire la part entre la transparence qui éclaire le débat, et celle qui l’aveugle, pour reprendre une idée chère au regretté Guy Carcassonne.
C’est d’ailleurs pourquoi il serait absurde de demander au Gouvernement de publier les avis concernant les textes qu’il choisit in fine de ne pas soumettre au Parlement. Il n’appartient pas au Parlement de s’immiscer dans les relations entre le Gouvernement et son Conseil.
Le rapport Robineau nous mettait à l’époque en garde : il faut d’autant moins sous-estimer les effets de cette réforme qu’elle serait, une fois décidée, irréversible. La réforme a eu lieu. Le Rubicon juridique a été franchi.
Certes, depuis la décision du président de la République, les textes n’ont, en vérité, pas été modifiés. Le régime juridique est toujours le même : non un régime de secret, mais un régime de publication discrétionnaire.
Reste que, depuis un an, la pratique s’est inversée. Désormais, la publication est la règle, le secret est l’exception. S’agissant du bilan de la publicité des avis relatifs aux projets de loi, il est nécessairement limité. Nous disposons de peu de recul.
L’avis du Conseil d’État est pour le moment inégalement utilisé par les différentes commissions permanentes de l’Assemblée nationale. La commission des lois – et je remercie son président Dominique Raimbourg pour sa présence ce matin – les mentionne fréquemment dans le cadre de ses travaux. Je pense en particulier au débat sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. De même, si l’on en croit la commission des affaires économiques et la commission du développement durable, les rapporteurs apprécient particulièrement cet outil qui leur permet de comprendre le sens des modifications opérées entre l’avant-projet de loi et le texte déposé.
Pour autant, le potentiel de ce nouvel instrument n’a pas encore été pleinement utilisé. Cela nécessitera du temps, une phase d’acculturation est indispensable. Il n’y a là rien d’anormal, il en a été de même pour les études d’impact. Une chose demeure néanmoins certaine : les députés auront d’autant plus recours dans l’avenir à cet outil qu’il constitue une nouvelle « arme » dans le débat législatif.
Ce qui nous amène au deuxième objectif que j’évoquais précédemment : préparer l’Assemblée nationale à l’ère du non-cumul des mandats.
L’un des objectifs de l’abolition du cumul, qui entrera en vigueur en 2017, est de faire en sorte que les députés et les sénateurs soient demain encore plus actifs qu’ils ne le sont aujourd’hui.
Qui pourrait s’en plaindre ? Mais encore faut-il savoir pour quoi faire. Pour voter davantage de lois ? Je crois que l’on en vote déjà bien trop dans notre pays. Il faut donc rééquilibrer les missions de l’Assemblée nationale et mettre à disposition des députés de nouveaux moyens d’expertise. On ne le dit pas, ou trop peu, mais les députés français disposent de moyens réduits. Je sais bien qu’en ces temps de populisme flamboyant, ce n’est pas chose facile à dire, mais le crédit dont ils bénéficient pour salarier leurs collaborateurs est, à titre d’exemple, clairement inférieur à celui de leurs homologues Anglais ou Allemands. Le secrétaire général de l’Assemblée, que je salue, pourrait le confirmer fort des comparaisons qu’il effectue régulièrement avec ses homologues. La publicité des avis du Conseil d’État contribue à combler ce déficit. Elle rétablit une forme d’égalité des armes entre le Parlement et le Gouvernement. Le temps est révolu où un ministre pouvait affirmer que tel ou tel article était rédigé ainsi en raison de l’avis du Conseil d’État, sans avoir à produire celui-ci. De même, le temps est révolu où les députés étaient condamnés à réclamer la publication d’un avis.
De la même manière, l’article 39 de la Constitution, tel qu’issu de la révision constitutionnelle de 2008, a renforcé l’expertise des députés.
Certes, le bilan est limité : seules quinze propositions de loi ont fait l’objet d’un tel avis. Pourtant ce chiffre doit être relativisé : n’oublions pas que les lois, dans notre pays, sont à 80 % d’initiative gouvernementale. Il n’en demeure pas moins que la nouvelle procédure a été extrêmement appréciée par les députés qui y ont eu recours : notre collègue Jean-Luc Warsmann – qui ne peut malheureusement être parmi nous aujourd’hui – en est la preuve vivante, lui qui a soumis à trois reprises un texte au Conseil d’État. Plus généralement, les avis ont été largement suivis par les commissions, en particulier sur les questions de légistique. Ils sont désormais intégralement rendus publics, ce qui contribue également à renforcer les pouvoirs de l’opposition, tout comme, d’ailleurs, la publicité des avis sur les projets de loi du gouvernement. On ne peut que s’en réjouir. Vous allez, au cours de cette matinée, débattre longuement, j’en suis sûr, de ces enjeux. Pour ma part, je n’ai qu’une conviction : les parlementaires ont goûté au fruit défendu. Nul retour en arrière ne sera possible. Ce n’est d’ailleurs pas souhaitable. S’il ne s’agit pas, tant s’en faut, de défendre une transparence totale, un débat éclairé est toujours à encourager.
Avec la révision constitutionnelle de 2008 et la publicité des avis sur le projet de loi du Gouvernement, le Conseil d’État est devenu, directement et indirectement, le conseiller juridique du Parlement. Bien sûr, cette fonction ne saurait être assimilée à la mission première qu’il exerce pour le compte
du Gouvernement. Pour autant, on ne peut que se réjouir, au regard de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, comme au regard de l’exigence démocratique, que l’héritier du Conseil du Roi soit devenu le conseiller du Parlement.
Le président Marceau Long évoquait en son temps l’« alchimie complexe » entre la fonction de conseiller et de juge, qui constitue la force du Conseil d’État. Cette alchimie est aujourd’hui enrichie par une nouvelle mission : celle d’assister juridiquement le Parlement.
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’État, soyez certains que l’Assemblée nationale se réjouit de vous savoir désormais, un peu plus à ses côtés, dans le cadre de ses missions.
Je vous remercie.

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