EXTRAIT DE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 21 – 21 MAI 2018 – © LEXISNEXIS SA
LA SEMAINE DU DROIT LES ACTEURS
La force sensible
Fabrice Raoult
Nourrie de son parcours d’autodidacte et fidèle à un tempérament non-conformiste, la pénaliste Marie Grimaud s’est imposée dans le domaine de l’enfance maltraitée en devenant l’avocat référent de l’ONG Innocence en danger.
On le constate à l’étonnante vigueur de la poignée de main, ce serait une erreur de s’en tenir à la douceur du regard azur de Marie Grimaud. Dans le secteur aussi sordide que professionnellement ingrat où elle exerce, il lui faut certes de la poigne. Avocate de l’Association Innocence en danger (IED) vouée à la protection des enfants contre les violences notamment sexuelles, elle mène ce « combat » sur tous les rings, judiciaires et médiatiques. Dans la salle d’attente du cabinet parisien, place de la République, on remarque forcément parmi les jouets et livres d’enfants, le commissariat de police Playmobil au pied d’une bibliothèque remplie d’essais sur le monde judiciaire. Locke et Foucault y côtoient Dupond-Moretti ainsi qu’un curieux petit roman , La boîte en os , récit d’une passion amoureuse baignée d’instinct de mort et de psychose. Parquet massif, bois et tissus naturels, bougie, tons blanc et beige, c’est dans un décor apaisant qu’elle écoute longuement des victimes raconter l’indicible.
Autodidacte, s’avouant « très en décalage », c’est en découvrant le droit de l’intérieur plutôt que sur les bancs de la faculté qu’elle devient avocate. Le système scolaire ne convenait guère à celle qui « remet toujours en question l’ordre établi ». C’est donc après des études de sociologie à Nantes consacrées au traitement judiciaire des mineures délinquantes qu’elle intègrera un master de droit pénal à la faveur d’une « passerelle ». Venue s’installer à Paris elle y prépare l’examen d’entrée au CRFPA tout en travaillant pour Me P. Gonzales de Gaspard, ce qui lui ouvrira les dossiers Heaulme et Fourniret. Habituée à détonner, comme quand elle appelle à la télévision au lancement d’un hashtag « balance ton pédophile », elle sera la seule femme enceinte de l’école d’avocats. En 2014, après 2 ans d’exercice elle crée son cabinet où elle compte recruter ses actuelles stagiaires, « deux blondes aussi », comme collaboratrices. Un cabinet « envisagé comme une famille » au sein duquel elle anime un réseau interprofessionnel de psychologues, pédiatres, gynécologues et pédopsychiatres. Elle offre ainsi une prise en charge globale aux victimes confrontées à de pénibles démarches médicales, administratives et procédurales ajoutées à leurs traumatismes. Aujourd’hui encore, dans le cercle plutôt viril des pénalistes, – ses « congénères » comme elle s’amuse à les nommer -, sa féminité désarme. « J’ai conscience de ne pas avoir l’image type de l’avocat, je suis une avocate très maternante », admet-elle. Mais dans son domaine la sensibilité est une force, le droit ayant finalement peu de place. Il faut avant tout de la psychologie car « c’est entre les lignes qu’on peut vraiment apprécier l’horreur que vivent certains enfants ».
Sa première plaidoirie était pour une prostituée ayant dénoncé son proxénète. Puis un jour, à la suite d’une plaidoirie qui l’avait touchée, la présidente d’IED l’aborde après l’audience et sollicite sa collaboration. S’ensuit une plongée au cœur de deux procès à l’impact incommensurable, du côté des parties civiles : celui de l’octuple infanticide dit « affaire Cottrez », et celui de la petite Fiona qui donnera lieu à 3 procès d’assises et continuera longtemps à l’habiter. « Je me suis beaucoup investie, on me disait que j’avais les yeux de Fiona, je l’ai portée plus que de raison… ». Innocence en danger pour qui elle suit en ce moment une vingtaine d’instructions mobilise désormais 50 % de son activité, bénévolement. Combien d’affaires viendront encore grossir la triste cohorte de victimes qui se succèdent dans le bureau de Me Grimaud ? Forcément trop. Selon IED, 81 % des victimes d’abus sexuels sont mineures et 2 enfants meurent chaque jour en France de maltraitances.
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck