[Edito] Retour sur la sécurité routière

EXTRAIT DE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 22 – 28 MAI 2018 – © LEXISNEXIS SA

Retour sur la sécurité routière

Philippe Meyer

 

edito

Dans ses Exorcismes spirituels, Philippe Murray, ce pourfendeur sarcastique des ennemis de la liberté qui maniait le calembour comme on tire au fleuret, décrivait notre société comme un gigantesque lex-shop à ciel ouvert. Lois, décrets, règlements, circulaires, arrêtés semblent se reproduire par scissiparité. La déploration de cette exubérance normative a désormais trouvé sa place au palmarès des plats réchauffés resservis régulièrement par les médias : le mal au dos mal du siècle, l’influence des Francs-Maçons, le train de vie des super-riches, etc. Répétée ad nauseam , cette déploration n’en demeure pas moins vaine. Parmi les nouvelles réglementations, celles qui se présentent précédées des meilleures intentions – sincères ou spécieuses – sont les plus difficiles à discuter. On aura compris que je veux en (re)venir à la nouvelle limitation de la vitesse autorisée sur les routes départementales à deux voies non séparées. Devant le scepticisme des uns, les demandes d’amodiation des autres et la bronca des troisièmes, le président de la République, pragmatique absolu, a décidé que cette mesure serait expérimentale : évaluée après deux ans, elle ne sera maintenue que si son efficacité est prouvée. On approuverait cette façon de faire si l’observation et l’expérience ne nous avaient pas enseigné que l’administration ne revient pas facilement sur ses décisions, qu’elle reconnaît plus facilement son droit que ses erreurs et qu’elle est habile à bricoler des preuves de sa clairvoyance.

Certains défenseurs de cette décision la soutiennent comme la corde le pendu, lorsque leur véhémence les conduit à interdire toute discussion au motif de la gravité du sujet. Ce sont souvent des personnes qui souffrent et souffriront toujours des conséquences d’un accident de la route subies par eux ou par un être aimé. Cette douleur est ineffable, souvent sans répit. Mais le débat sur les moyens d’éviter aux autres de connaître ces affres ne peut pas être étouffé sous les émotions. Passionner la controverse sur l’abaissement de la vitesse autorisée, en diaboliser les adversaires, c’est, en outre, passer à côté d’autres facteurs d’insécurité routière.

On a évoqué l’importance de l’état du réseau dans le nombre des accidents. J’ai mentionné, dans un éditorial de janvier ( JCP G 2018, act. 69 ), l’étude sans suite de l’Institut national de la santé et de l’Institut français des sciences et technologies des transports qui établit que 6 % des conducteurs sont, à un instant T en train d’utiliser leur téléphone ce qui multiplie par 3 les risques d’accident et par 23 en cas d’envoi de SMS au volant. On n’a pas encore examiné la récente décision de complexifier les contrôles techniques, qui repose sur la fiction d’une efficacité que leur mode de financement réduit à un simulacre. Le réformer serait un moyen véritable de donner à ces vérifications techniques une efficacité réelle sur l’accidentologie. Mais cela demanderait la volonté d’affronter les intérêts des quatre grands groupes qui trustent ces contrôles et les ont réduits à n’être qu’une source de profit. Le pragmatisme peut-il aller jusque-là ?

 

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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