EXTRAIT DE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 23 – 4 JUIN 2018 – © LEXISNEXIS SA
Le voile de la discorde
Anastasia Colosimo
Dans un reportage sur le blocage des universités diffusé par M6 le 12 mai dernier, Maryam Pougetoux, présidente de l’UNEF à Paris IV, apparaît voilée. La polémique enfle à gauche et se répand comme une traînée de poudre. Sur les réseaux sociaux, Laurent Bouvet, cofondateur du Printemps républicain, ironise : « À l’UNEF, la convergence des luttes est bien entamée », déclenchant une avalanche de messages de soutien à la représentante syndicale. Jean-Luc Mélenchon, lui, rappelle qu’elle est dans son bon droit, mais ne peut s’empêcher de pousser un coup de gueule : « Ça bloque. C’est comme si j’arrivais avec une énorme croix. J’ai connu ça dans ma jeunesse. Il y en avait qui portaient ça. On leur disait « Écoute c’est bon, quoi… Tu en mets une plus petite ou en tout cas, quand tu vas parler en notre nom, tu ne mets pas ça ! » » L’affaire gagne même le gouvernement. Gérard Collomb dénonce une « provocation » et reproche à la jeune femme de vouloir marquer sa « différence avec la société française », pendant que Marlène Schiappa s’interroge sur « la promotion d’un islam politique ». Qu’on se le dise, Maryam Pougetoux n’enfreint aucune loi en arborant son voile. Si elle dérange, c’est parce qu’elle représente le divorce consommé à gauche entre deux générations. L’ancienne, républicaine, souvent anticléricale, parfois antireligieuse et la nouvelle, communautariste, en croisade contre toute forme de discrimination. La première défend un féminisme universel fondé sur l’égalité homme femme, la seconde considère qu’il y a de féminismes autant qu’il y a de femmes et que la prétention universaliste n’est que la poursuite de l’oppression par d’autres moyens.
Le débat n’est cependant pas que politique. Il est aussi juridique et judiciaire. C’est l’affaire du législateur qui, en 2004, au nom de la neutralité religieuse, encadre le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, et qui, en 2010, au nom de la protection de l’ordre public, interdit la dissimulation du visage dans l’espace public. C’est aussi l’affaire du juge, judiciaire quand il s’agit de statuer sur la licéité du renvoi de la salariée de la crèche privée « Baby Loup » refusant de retirer son voile, administratif quand il s’agit d’annuler des arrêtés municipaux interdisant le burkini sur les plages. Aux affaires retentissantes, s’ajoutent tous les faits divers. Comme ce retraité de 70 ans, relaxé en première instance, puis condamné en février par la cour d’appel de Rouen pour avoir arraché le voile intégral d’une femme dans un supermarché ou comme cette buraliste poursuivie ce mois-ci au tribunal correctionnel d’Albi pour avoir exigé d’une cliente qu’elle retire son voile pour pouvoir récupérer son colis.
Seulement voilà. La multiplication des querelles politiques, juridiques et judiciaires participe d’un même malaise dans la culture. La laïcité ne se dit plus sans qualificatif. On parle de laïcité inclusive ou exclusive, molle ou dure, tolérante ou intolérante, républicaine ou pluraliste. Et l’on oublie sans doute, comme nous le rappellent Régis Debray et Didier Leschi dans un précieux ouvrage, de penser La laïcité au quotidien.
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck