[Edito] In disputatione veritas

EXTRAIT DE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 27 – 2 JUILLET 2018 – © LEXISNEXIS SA

In disputatione veritas

Anastasia Colosimo

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Loi sur les fake news, loi sur les fausses nouvelles, loi sur les fausses informations ou loi sur la manipulation de l’information ? Appelez-la comme vous voulez, rien n’y fera, c’est en train d’arriver. Il faudrait d’ailleurs commencer par là. L’indétermination totale dans les termes, signe, s’il en fallait un, de l’absurdité de la loi.

Le glissement sémantique reste tout de même significatif. Alors que la France réprime depuis 1881 le délit de fausse nouvelle, la Cour de cassation ayant pu préciser qu’il ne pouvait s’agir que d’une nouvelle « se rattachant à un fait précis et circonstancié, non encore divulgué et dont le caractère mensonger est établi de façon objective », le nouveau délit de fausse information, lui, a été défi ni par la Commission des lois comme « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ». Vrai, vraisemblable, non manipulé, apparemment tout se vaut !

Armé de cette étrange définition, le texte examiné en première lecture à l’Assemblée nationale propose trois mesures principales applicables seulement pendant les périodes électorales. La première, sans doute la plus contestable, vise à créer une procédure judiciaire d’urgence pour limiter la propagation des fameuses « fausses informations » sur internet en les bloquant ou en les supprimant. Comme s’il pouvait revenir au juge, dans un délai de quarante-huit heures, de statuer sur la véracité, pardon, sur la vraisemblance, pardon, sur le caractère non manipulé, d’une information. La deuxième, sans doute la plus inquiétante, entend donner le pouvoir au Conseil supérieur de l’audiovisuel de suspendre certains médias étrangers. Comme s’il pouvait revenir au Collège de conseillers de décider ce qui est de l’ordre de l’information ou de la désinformation. La troisième, enfin, qui sauve un peu l’honneur même si elle n’est pas des plus utiles, veut introduire une obligation de transparence sur les réseaux sociaux, en particulier pour les publicités politiques. Le tout laisse un sentiment plus que mitigé. Le Conseil d’État, dans son avis rendu public le 19 avril, n’a d’ailleurs pas hésité à émettre quelques critiques sévères sur le fond et sur la forme, rappelant que le droit français contient déjà diverses dispositions contre la manipulation de l’information et invitant le législateur à mieux circonscrire le champ d’application de la loi.

Mais la question n’est pas que juridique, elle est aussi politique. Elle engage notre conception de la démocratie. La vie de la cité doit être le lieu de toutes les opinions contraires, les plus déplaisantes et les plus hasardeuses, qu’elles soient de bonne ou de mauvaise foi. Elle ne peut pas se nourrir que d’énoncés vrais ni même vérifiables. La seule prétention à détenir la vérité étant incompatible avec l’existence du débat démocratique. Mais ça n’est pas le pire ! À vouloir légiférer à tout va, nous risquons d’oublier de nous interroger, de réfléchir, de fourbir nos arguments et de prendre le temps de convaincre. La vérité, elle, en ressortira inévitablement affaiblie.

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