[Edito] Au malheur des témoins

EXTRAIT DE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 28 – 9 JUILLET 2018 – © LEXISNEXIS SA

 

Au malheur des témoins

Pascale Robert-Diard

Edito

Lue, dans un formidable portrait que lui a consacré M, le magazine du Monde, cette phrase de l’acteur Benoît Polvooerde : « Quand j’étais jeune, je venais assister aux procès, ça me fascinait. Une fois, un type était accusé d’en avoir tabassé un autre. Un témoin avait dit que ça ne l’étonnait pas car l’agresseur ne faisait jamais son lit ».

L’anecdote aurait à coup sûr enchanté l’un de ses compatriotes belges, l’écrivain Georges Simenon. Elle aurait même pu figurer dans son roman, Cour d’assises, quand le héros, Petit Louis, assiste désemparé aux dépositions des témoins – voisins, lointains parents, liaisons sans lendemain – qui trouvent tous un souvenir accablant à livrer sur lui. Les témoins de personnalité sont à la fois le bonheur et le malheur des procès criminels.

À Nice, au procès d’une mère et de son fils accusés de l’assassinat de leur mari et père était venue déposer une enseignante à la retraite. Elle vouait une passion aux cartes postales anciennes et en avait acquis plusieurs auprès de la victime, un brocanteur réputé dans cette spécialité. Au fi l des ans, elle avait noué une vague relation amicale avec le brocanteur et son épouse. Aussi curieuse des vues anciennes que de la vie des autres, la dame avait compris que les choses n’allaient pas pour le mieux dans celle du brocanteur, dont le couple battait de l’aile. Et un jour, elle avait découvert en lisant le journal, qu’il avait été assassiné.

N’écoutant que sa bonne conscience, elle était allée dire aux policiers tout ce qu’elle croyait savoir de lui et elle était manifestement très flattée de venir le répéter à la barre de la cour d’assises.

« – Une fois que nous déjeunions au restaurant, c’était au festival de cartes postales de Deauville, un festival important où ne viennent que les vrais amateurs, voyezvous, d’ailleurs, c’est là que j’ai trouvé une de mes pépites, une vue de Morlaix qui vaut une fortune aujourd’hui…
Et donc, au restaurant ? l’avait interrompu la présidente.
– Et bien, pour vous dire qu’il était brutal. Sa femme avait commandé des huîtres. De Cancale, vous les connaissez ? Elle avait demandé des numéros 0. Son mari était furieux, lui, il voulait des triple 0. Moi, celles-ci, je ne peux pas les avaler.
La présidente s’impatientait.
– Vous avez d’autres choses à nous dire sur la victime ?
– Oui. Je lui avais demandé un jour de me déplacer une armoire, il a tiré d’un coup et il a abîmé mon chambranle. Vous voyez le genre d’homme qu’il était ?

La dame avait gardé le meilleur pour la fi n. Après une dispute conjugale, l’épouse de la victime lui avait confié un carton dans lequel figurait une enveloppe remplie de lettres. La collectionneuse les avait apportées au commissariat. À la présidente qui lui demandait si elle les avait lues, elle avait répondu :
– Bien sûr. Je suis une femme de devoir. Ce qui m’a choquée, c’est que dans ces lettres, il lui parlait tout le temps de son corps à elle. Moi, voyez-vous, j’aurais préféré qu’il pense un peu moins…- elle s’était dressée, bien droite, face à la cour et avait jeté d’une moue dégoûtée – …à la fornication ».

Petit exercice pour les vacances : Vous êtes accusé d’un crime. Faites une liste de tous ceux qui pourraient être cités à la barre des témoins. Et tenter d’imaginer ce qu’ils viendraient raconter sur vous.

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