EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 1-2 – 14 JANVIER 2019
EDITO
Réforme de la Cour de cassation : retour à la case Commission
Nicolas Molfessis
La phrase de Clemenceau colle à la peau de toute commission comme une fatalité : pour enterrer un problème, créez une commission. La formule, pour être populaire, est loin d’être toujours vraie : certaines commissions servent à faire proposer par d’autres ce que l’on voudrait réaliser soi-même mais qu’on ne peut endosser seul. Tout l’inverse de Clemenceau. D’où cette curiosité de début d’année : de quelle catégorie relève la nouvelle commission instituée pour réformer le traitement des pourvois à la Cour de cassation ? Telle qu’on se représente la garde des Sceaux, qui l’a mise en place, gageons qu’elle a choisi la deuxième voie. La dernière fois qu’elle a semé des commissions, elle n’a pas hésité à récolter un projet de loi de réforme de la justice, et avec lui plein de problèmes. Pour qui aime affronter les résistances, la réforme de la Cour de cassation a tout d’une entreprise chevaleresque.
Voilà des années que cette vénérable institution subit les critiques : hermétisme de ses décisions, manque d’unité de sa jurisprudence, difficulté à résister à la concurrence de la CEDH ou du Conseil constitutionnel. Ses éminents chefs sont d’ailleurs les premiers à vouloir sa réforme. G. Canivet hier, qui déplorait que notre Cour de cassation ressemble plus à un centre de traitement des pourvois qu’à un atelier de confection sur mesure ; B. Louvel à présent, pour qui la Cour ne peut plus « remplir efficacement son double rôle d’éclairage de la norme et d’harmonisation de la jurisprudence », et propose ainsi un filtrage renforcé. Mais face à eux, d’autres magistrats et, surtout, une poignée d’avocats aux Conseils qui, chacun, maîtrisent la technique de cassation comme un maître-horloger suisse la montre bracelet à complications. 30 000 arrêts par an pour 64 charges. Bourdieu s’en délecterait : gardiens du temple, ils sont dépositaires du droit au pourvoi et entendent bien le défendre. Filtrer l’accès à la Cour de cassation, et c’en serait fi ni du droit élémentaire de tout justiciable à faire casser des arrêts d’appel insignes.
Ce serait le retour à l’Ancien régime et une rupture profonde de l’égalité des citoyens devant la justice. Ne rétorquez pas qu’il n’existe pas de droit au pourvoi, c’est peine perdue. N’affirmez surtout pas que le filtrage existe déjà, c’est la preuve que la réforme est inutile. N’avancez pas que la plupart de nos voisins ont des cours suprêmes filtrantes : veut-on copier la cour suprême américaine ? C’est dit : le filtrage sonnerait la « suppression » de la Cour de cassation. Voilà qui mérite une pétition d’universitaires dans un quotidien économique ( Les Échos, 19 juill. 2018 ). En France, il suffi t d’annoncer la réforme d’une institution pour que chacun, même après l’avoir vertement critiquée, s’en découvre le plus ardent défenseur…
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck