EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 1-2 – 14 JANVIER 2019
LA SEMAINE DU DROIT L’ENTRETIEN
COUR DE CASSATION
« L’avocat général dispose d’une totale liberté d’action et
d’opinion. Il doit incarner ce regard extérieur qui lui permet d’éclairer la Cour »
Après 7 ans à la tête du parquet de Paris, François Molins a pris ses fonctions de procureur général près la Cour de cassation, le 16 novembre dernier. À ce poste prestigieux au sommet de la hiérarchie du parquet, il succède à Jean-Claude Marin. Lors de l’audience solennelle en grande chambre, la 47 e depuis 1804, en présence de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet et de Hauts magistrats, le premier président Bertrand Louvel et le doyen des premiers avocats généraux, Philippe Ingall-Montagnier, ont rendu hommage à la carrière exemplaire du magistrat, marquée ces dernières années par les attentats terroristes qui ont frappé le pays. Rencontre avec le magistrat le plus célèbre de France (V. égal. dans ce numéro JCP G 2019, act. 2, Portrait).
Entretien avec FRANÇOIS MOLINS, procureur général près la Cour de cassation
La Semaine Juridique, Édition générale : Quel bilan tirez-vous des 7 années passées au parquet de Paris ?
François Molins : Ces 7 années ont été particulièrement riches et denses. Pour le procureur du parquet de Paris, le véritable enjeu est de parvenir à concilier la gestion des « affaires » et l’urgence, avec les enjeux de fond. J’ai toujours combattu l’idée selon laquelle le procureur devait être jugé sur sa capacité à gérer les affaires signalées. Confronté en permanence à des dossiers complexes, il doit aussi s’emparer des problématiques de fond qui conduisent à décliner et à faire évoluer les politiques pénales. Le véritable défi du parquet de Paris est de relever les enjeux portant tout autant sur la délinquance du quotidien que sur le terrorisme, de gérer des affaires sensibles mais aussi de conduire une action de fond s’inscrivant dans le moyen et le long terme. Il n’y a aucun parquet en France où la convergence de ces enjeux atteint un tel paroxysme.
JCP G : En quoi les politiques pénales ont-elles évolué pendant ces 7 années ?
F. M. : Les politiques pénales doivent répondre à l’évolution de la délinquance et aux nouveaux phénomènes de criminalité qui apparaissent ou se développent. C’est le cas par exemple du hameçonnage en matière astucieuse, ou des violences au sein du couple et de la délinquance sexuelle qui est en forte augmentation. Les migrations engendrent également des problèmes nouveaux, qu’il s’agisse de la délinquance des mineurs étrangers ou des problématiques liées aux mineurs non accompagnés. Il convient d’adapter en permanence la politique suivie et les réponses pénales, de même que les organisations et les dispositifs afin de répondre au mieux au phénomène de délinquance pour le faire reculer.
JCP G : Quelles sont les spécificités attachées à la fonction de procureur de Paris ?
F. M. : Le procureur de Paris n’est pas un procureur comme les autres. En France, chaque procureur a compétence sur un ressort du territoire national. C’est le schéma classique. La spécificité du parquet de Paris tient à ce qu’il décline des compétences géographiques et thématiques selon plusieurs cercles concentriques : à Paris, sur les 8 cours d’appel pour toute la délinquance relevant des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) en matière économique et financière complexe et en matière de criminalité organisée, sur 30 cours d’appel pour les accidents collectifs et la santé publique, en plus des compétences nationales et internationales en matière de terrorisme, de prolifération des armes nucléaires, de droit pénal humanitaire et de cyber criminalité. Le parquet de Paris conjugue donc des compétences locales avec des compétences régionales et inter régionales, nationales et internationales. C’est ce qui fait qu’il se trouve en permanence au coeur de l’actualité.
JCP G : Une actualité forte au cours de ces 7 années …
F. M. : Extrêmement forte, avec l’émergence de problématiques nouvelles, au premier rang desquelles le terrorisme. Notre pays a été confronté à des vagues massives d’attentats de mars 2012 à fi n 2018. Cela a constitué une difficulté supplémentaire pour le parquet de Paris qui, tout en conservant ses autres compétences, s’est consacré pleinement à cet enjeu. L’une des spécificités de cette période, c’est qu’au cours de ces années, le terrorisme a changé de physionomie et de volume. Avec le terrorisme djihadiste, on est passé à un véritable contentieux de masse, à partir des filières syriennes en 2012. Le phénomène s’est développé et a connu son apogée dans les années 2015/2016. Des centaines de dossiers sont actuellement devant le Tribunal de Paris. Or, un contentieux de masse d’une gravité telle que le terrorisme doit être traité avec la même rigueur. Cela oblige à beaucoup de réflexion, de compétence et de solidarité. Pour faire face à ces phénomènes, le procureur n’est pas seul. Le parquet c’est une équipe fondée sur la qualité de l’organisation, la compétence de chacun et le volontarisme de tous. C’est ce qui fait sa force…
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck