EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 6 – 11 FÉVRIER 2019
LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS
CONSEIL CONSTITUTIONNEL
La délocalisation du Conseil constitutionnel
Mathieu Disant, professeur à l’université Lyon Saint-Etienne, directeur du CERCRID – UMR CNRS 5137

POINTS-CLÉS ➜ Mardi 12 février 2019, le Conseil constitutionnel tiendra son audience publique à la cour d’appel de Metz ➜ Pour la première fois, le Conseil délocalise son audience hors de ses murs ➜ Si cette initiative a vocation à être pérennisée, elle interroge sur ses finalités et ses modalités ➜ Cette délocalisation creuse le sillon en faveur d’une communication active ➜ On peut y voir l’ambition de consolider la place du Conseil constitutionnel dans la culture judiciaire française, quitte à désacraliser l’image d’une assemblée de « sages » isolés des lieux communs de justice
Ce mardi 12 février 2019, le Conseil constitutionnel tiendra son audience publique QPC (aff. n° 766 et 767) hors des murs de la rue Montpensier, dans l’enceinte de la cour d’appel de Metz. Le souhait d’« aller au contact » en région avait été exprimé par le Président Fabius lors de la présentation des voeux au Conseil constitutionnel début janvier. Voilà donc que le Conseil constitutionnel inaugure la pratique des audiences délocalisées.Rien à voir, bien entendu, avec les facultés diversement ouvertes en procédure de droit commun consistant tantôt à désigner une autre juridiction pour connaître d’une affaire, tantôt à la juger « sur place » ou à se rapprocher du terrain d’enquête. Ni dépaysement, ni renvoi, ni même, à vrai dire, aucun lien – aucun gain ? – direct avec l’exercice du contrôle de constitutionnalité de la loi.
Cette délocalisation est tout bonnement hors du droit. D’une part, aucun texte relatif au Conseil constitutionnel ne le prévoit ou ne s’y oppose par principe, la seule exigence commandant l’opération est que l’audience doit « faire l’objet d’une retransmission audiovisuelle en direct dans une salle
ouverte au public dans l’enceinte du Conseil constitutionnel » (Règl. proc. applicable aux QPC, art. 8), ce qui requiert, pour l’occasion, un effort logistique atypique mais relativement modeste. D’autre part, elle n’est aucunement imposée, en droit ou en fait, au Conseil ; pas plus qu’elle n’est faite pour faciliter son office ou s’assurer qu’il s’exercera dans les conditions de sérénité que ne lui offrirait pas le Palais Royal. Du grain à moudre pour les processualistes, déjà habitués à la relative indétermination du concept de délocalisation et à ses multiples hypothèses, auxquelles s’ajoute cet aménagement inédit, de pure opportunité, de l’administration de la justice constitutionnelle. Alors, délocaliser pour quoi faire ? À l’évidence, il s’agit de donner à voir la procédure QPC et d’habiter les lieux où elle se pratique. Chacun est en droit d’être sceptique mais la démarche n’est pas insignifiante. Qu’on l’approuve ou pas, c’est une manière de creuser le sillon en faveur d’une communication active en phase avec la récente réorganisation interne du Conseil constitutionnel en la matière (M. Disant, La nouvelle communication du Conseil constitutionnel : JCP G 2018, act. 536) et la volonté d’investir, sous diverses formes, pour une plus grande visibilité de l’institution et de ses fonctions. Le dispositif a vraisemblablement germé dans le contexte de la célébration du 60 e anniversaire de la Constitution, mais aussi après que le Conseil constitutionnel se soit confronté – là encore sous une forme inédite – à des échanges avec la presse et les autorités locales à l’occasion de la tenue, à Albi, de la Conférence des cours constitutionnelles latines à laquelle le Conseil constitutionnel français participait pour la première fois.
Une action de promotion certes, un gadget de la justice spectacle peut-être, mais pas seulement. Délocaliser s’inscrit dans une démarche plus profonde d’acculturation à la Constitution, là où il y a encore tant à faire, et de consolidation de la place du Conseil constitutionnel dans la culture judiciaire française…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck