[Dossier] La responsabilité des agents de voyage, trente ans après : les Bronzés font du tri

EXTRAIT DE LA REVUE RESPONSABILITÉ CIVILE ET ASSURANCES – N° 2 – FÉVRIER 2019

La responsabilité des agents de voyage, trente ans après : les Bronzés font du tri

Cédric COULON, maître de conférences-HDR à l’université de Rennes I, directeur du CRJO IODE (UMR CNRS n° 6262)

1- Ce n’était pas l’attaque d’une raie mais plutôt celle une murène qui, dans une affaire rappelant – de manière certes un peu inconvenante – la scène d’une célèbre comédie française, avait convaincu une vacancière de reprocher à son agence de voyages d’avoir laissé organiser un stage de plongée sous-marine sur un site infesté de ces créatures sous-marines. Parce qu’elle avait été mordue et, par suite, amputée de la main droite, la victime avait obtenu gain de cause devant la chambre criminelle de la Cour de cassation ; celle-ci, quand bien même les juges du fond avait relevé le professionnalisme et la réactivité des moniteurs présents sur les lieux du drame, avait cassé l’arrêt rendu en appel au motif qu’il n’avait pas été démontré que la présence d’un tel poisson était aussi imprévisible qu’irrésistible. Ainsi avait-il pesé sur l’agent de voyages une responsabilité dont la doctrine ne manqua pas de souligner le caractère inouï, du moins en comparaison des solutions retenues à l’égard des professionnels faisant métier de divertir le public.

2 – Cependant, la décision ainsi rendue s’inscrivait également dans un mouvement jurisprudentiel plus ancien, dont Hubert Groutel s’était fait l’écho dès 1989, à l’occasion d’un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation. En l’espèce, à l’atterrissage d’un vol opéré par la compagnie Air France, une passagère avait retrouvé sa valise vidée de son contenu. Condamnée en première instance à indemniser cette dernière, l’agence organisatrice du voyage s’était défendue en avançant que sa responsabilité ne pouvait être engagée qu’en cas de faute prouvée ; elle faisait en outre valoir le fait que, « le transporteur étant directement engagé envers le voyageur, la garantie conventionnelle que pourrait donner l’agence ne présenterait qu’un caractère subsidiaire, imposant à son client d’exercer préalablement une action contre le transporteur ». Aucun de ces arguments ne devait toutefois convaincre les hauts magistrats, qui s’étaient alors fondés sur un arrêté de 1982, aux termes duquel l’agent de voyages « est garant de l’organisation du voyage ou du séjour et responsable de sa bonne exécution, à l’exception des cas fortuits ou faits étrangers à la fourniture des prestations prévues au contrat de voyage ».

3 – La décision devait mettre fin à une distinction jusqu’alors bien ancrée dans la façon dont les juges appréhendaient la responsabilité de l’agent de voyages. S’agissant d’une personne dont le métier consiste à élaborer et vendre, soit des forfaits touristiques, soit des services de voyage qu’elle n’assure pas elle même – tels le transport, le logement ou la location de véhicules –, la jurisprudence avait initialement exigé que soit établie sa faute dans la surveillance des professionnels en charge de l’exécution du séjour. Ce fondement, aussi peu pratique qu’opportun, a pu être ainsi abandonné dès l’instant où les règles applicables en la matière suggéraient en réalité un régime plus strict.Débarrassée de la recherche d’une faute, la responsabilité des agents de voyages a cependant continué à se préciser au cours des trente dernières années, un tri devant tout de même être réalisé entre les situations où cette sévérité était de mise, et celles où elle méritait plutôt d’être écartée (1). Car en fait de responsabilité sans faute, c’est au fond une véritable obligation de garantie, dénuée de toute référence à un engagement quelconque desdits agents d’assurer le bon déroulement des voyages, qui semble avoir trouvé prise en droit positif (2)…

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AUTEUR(S) : Hubert Groutel