EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 15 – 15 AVRIL 2019
EDITO
Gourmandise d’instance
Pascale Robert-Diard

Au procès Tapie, les débats ronronnaient, l’attention faiblissait, et je songeais avec nostalgie à d’autres procès financiers – le tentaculaire dossier Elf, celui de l’Angolagate, l’affaire Jérôme Kerviel – à leurs audiences tendues, riches, en un mot, vivantes, qui font la saveur du procès pénal et le bonheur de la chronique judiciaire. Quel contraste avec les débats qui se déroulaient devant le tribunal correctionnel de Paris ! Mon téléphone a vibré, le message était signé d’un confrère du Courrier de l’Ouest. « Régale-toi !», disait-il simplement en m’adressant un jugement rendu le 6 mai 2002 par le tribunal d’instance d’Angers.
Dans une boutique de la ville, une dame D. avait acquis en septembre 2000, moyennant 159 francs une veste polaire rouge. Rentrée chez elle, elle avait décidé sur le champ, pour des raisons phobiques qui lui appartiennent, de procéder au nettoyage de ladite veste et l’avait déposée dans le tambour de sa machine à laver où se trouvaient déjà d’autres effets, dont des sous-vêtements blancs. Trente minutes – ou quarante-cinq ? ou soixante ? les débats manquent de certitude sur ce point – la dame découvrait avec horreur que le rouge de sa polaire avait déteint sur ses dessous immaculés. Ayant constaté que ladite veste ne comportait aucune étiquette d’instruction de lavage qui eut pu faire peser sur elle un zeste de culpabilité, elle portait plainte, déterminée à voir reconnu son statut de victime et à obtenir, en réparation du préjudice causé par le rose suspect de ses dessous, la somme de 1260 francs, plus 1000 euros – les délais de jugement étant ce qu’ils sont, la monnaie unique était entre temps entrée en vigueur – sur le fondement de l’article 700.
Sur ce, le tribunal, après avoir entendu la plaignante et la défense, considérait : « Attendu que le vêtement ne comporte pas en effet l’étiquette obligatoire devant renseigner le consommateur sur les précautions de lavage du textile ; mais attendu qu’une ménagère moyennement avisée, même démunie d’un diplôme de chimie, ne mélange pas les couleurs vives avec du linge blanc, surtout s’il s’agit de linge délicat auquel on tient ; qu’au surplus, si Mme D. avait fait preuve d’un peu plus de modestie quant à ses compétences sur les caractéristiques intrinsèques des textiles et d’un peu plus de prudence et de clairvoyance avant de mettre dans une même machine à laver, des vêtements blancs avec des vêtements neufs et de couleur vive, en dépit des recommandations rappelées sur tous les paquets de lessive – suit la liste exhaustive de ces recommandations – elle n’aurait pas eu à se plaindre d’un quelconque désagrément. Qu’elle est donc la véritable responsable du dommage qu’elle a subi ; Mme D. produit aux débats un soutien-gorge qui a en effet subi une légère coloration rosée, dont il est probable qu’elle ne soit pas définitive avec un lavage approprié ; Attendu par ailleurs, que le témoignage de Mme G., amie de Mme D. qui passe la fin d’après-midi avec elle pour attendre consciencieusement la fin du programme de lave-linge, occupation passionnante s’il en est, ne saurait compenser l’absence des photos des autres vêtements dégradés ». Le tribunal a condamné Mme D. à verser 1 euro de dommages et intérêts à la boutique et 457, 35 euros d’article 700.

LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck