[En questions] Verrou de Bercy allégé, justice pénale négociée et droits de la défense

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 16 – 22 AVRIL 2019

LA SEMAINE DU PRATICIEN EN QUESTIONS

PROCÉDURES FISCALES

Verrou de Bercy allégé, justice pénale négociée et droits de la défense

Le nouveau visage de la justice pénale fiscale

La loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 a opéré deux changements majeurs s’agissant des poursuites pénales pour fraude fiscale : fi n partielle du verrou de Bercy et extension du champ d’application des mécanismes de justice pénale transactionnelle (convention judiciaire d’intérêt public et comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité). Les auteurs s’interrogent sur l’effet de telles modifications sur les droits de la défense. Ces questions seront d’ailleurs également abordées lors du colloque organisé par le Master 2 Prévention du risque pénal économique et financier qui se tiendra le 26 avril 2019 à la faculté de droit de Nancy.

Christophe Ingrain, avocat à la Cour, Darrois Villey Maillot Brochier
Rémi Lorrain, avocat à la Cour, Darrois Villey Maillot Brochier

Quel est le régime actuel des poursuites pour fraude fiscale ?

Avec la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 (V. JCP G 2018, doctr. 1393, Étude S. Detraz), le législateur a rapproché la poursuite pénale des délits de fraude fiscale des principes de droit commun de la procédure pénale, mais a laissé subsister quelques particularités notables. Avant cette loi, ce qu’il est convenu d’appeler le « verrou de Bercy » empêchait la poursuite pénale des délits de fraude fiscale en l’absence de plainte préalable de l’administration fiscale (plainte elle-même soumise à un avis favorable de la commission des infractions fiscales). On parle alors de « poursuites conditionnées ». Le verrou de Bercy largo sensu était, en réalité, constitué de deux serrures : d’abord la décision du ministre du Budget consistant à saisir ou non la Commission des infractions fiscales (la CIF) et ensuite l’avis qu’émet cette commission (avis favorable ou défavorable à la poursuite pénale liant ensuite l’administration fiscale dans son dépôt de plainte). Ce n’est pas uniquement le principe bien connu d’opportunité des poursuites qui est en cause ; c’est, plus important encore, l’opportunité d’ouvrir ou non une enquête pénale. Désormais, ce verrou de Bercy est devenu loquet. On peut considérer qu’il existe maintenant quatre régimes distincts de poursuite pénale des délits de fraude fiscale. Le procureur de la République pourra agir :

  • à la suite d’une dénonciation de l’administration fiscale ;
  • à la suite d’une plainte de l’administration fiscale précédée elle même d’un avis favorable de la commission des infractions fiscales (CIF) ;
  • à la suite d’une plainte de l’administration fiscale sans avis de la CIF ;
  • sans dénonciation, ni plainte préalable ni avis de la CIF (dans un cas particulier).

Dans quels cas le verrou de Bercy demeure ?

C’est résiduel, le verrou de Bercy reste applicable pour les cas les moins significatifs. Pour les faits les plus graves, l’administration fiscale n’a plus aucune marge de manoeuvre, elle est contrainte de dénoncer les faits. Il s’agit, pour résumer, des affaires ayant donné lieu, à l’issue des procédures administratives de contrôle, à l’application de sanctions administratives importantes :

  • rappels de droits dépassant 100 000 € assortis de majorations de 40 % en cas de récidive ou 80 % ou 100 % ;
  • rappels de droits dépassant 50 000 € assortis de majorations de 40 %, 80 % ou 100 % pour les contribuables soumis à une obligation de déclaration à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

L’Administration fiscale ne retrouve un pouvoir d’initiative que lorsqu’elle dépose plainte pour des situations différentes de celles susvisées. Par principe, dans tous les autres cas que ceux imposant une dénonciation, l’avis conforme de la commission des infractions fiscales reste un préalable nécessaire au dépôt de plainte par l’administration fiscale (qui, elle-même, on l’a dit, est un préalable nécessaire à la poursuite pénale de la fraude fiscale). Globalement, il s’agit des cas où un contrôle fiscal n’a pas donné lieu à l’application de pénalités ou des cas de rappels de droits inférieurs aux montants exigés. Le contribuable est dans ce cas avisé de la saisine de la CIF…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck