EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 18 – 6 MAI 2019
LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS
ASSURANCES TERRESTRES
Notre-Dame et l’assurance
POINTS-CLÉS ➜ Notre-Dame de Paris, propriété de l’État, n’était pas assurée ➜ Il en va différemment des entreprises intervenant sur le chantier de restauration, mais dans des limites de montant insuffisantes ➜ Quant aux donateurs, ils se pressent, sans pouvoir recourir contre les éventuels responsables, sauf à perdre leurs avantages fiscaux ➜ Lequel des trois acteurs sortira gagnant (ou plutôt le moins perdant) du désastre ?
Luc Mayaux, professeur à l’Université Jean-Moulin (Lyon III), directeur de l’Institut des assurances de Lyon
Il y a deux Notre-Dame. Il y a la sainte, la reine, la mère du Dieu des chrétiens, qui console et rassure, mais n’a que faire de l’assurance. Et il y a sa maison et ceux qui involontairement (du moins on l’espère) l’ont défigurée. Pour elle comme pour eux, l’assurance est, au contraire, un enjeu central, sa présence comme son absence.

1- Assurance de choses
Pour la maison, pour ce bâtiment qui accueille la vierge depuis près de mille ans, il s’agit plutôt d’absence. Notre-Dame n’était pas assurée (D. Guinot, Notre-Dame de Paris : le casse-tête de l’assurance : www.lefigaro.fr, 16 avr. 2019). Non parce qu’elle est un édifice religieux. Certaines églises sont assurées, qu’elles soient postérieures à la loi de séparation de 1905 (elles sont alors la propriété de l’Église ou plutôt de ses démembrements), ou antérieures (elles appartiennent alors aux communes). Il est des collectivités locales qui assurent leurs églises au même titre – le lecteur nous pardonnera la comparaison – que leurs salles des fêtes ou leurs gymnases (K. Sontag, Le contrat d’assurance des communes, préf. L. Boy : Le Moniteur, coll. Analyse juridique, 2005). Oui, mais Notre-Dame est une cathédrale, siège d’un évêché, et elle a été construite avant 1905. Pour ces deux raisons, elle est la propriété de l’État (D. 4 juill. 1912, art 1 er). Et, selon la formule consacrée, l’État est son propre assureur. En ce qui le concerne, cela signifie qu’il ne s’assure pas du tout : il ne provisionne pas pour les sinistres futurs et, au contraire de certains grands groupes de sociétés, il n’a pas de compagnie d’assurance captive. Cette situation appelle deux séries d’observations, juridiques et économiques.
Sur un plan juridique , elle ne trouve son assise dans aucune règle. Le droit se borne à en tirer les conséquences, spécialement en assurance automobile (C. assur., art. L. 211- 1, al. 1 , qui exclut l’État du champ d’application de l’assurance obligatoire). Mais il ne s’oppose pas à une pratique contraire : l’État pourrait s’assurer, ce que font certains États étrangers (par exemple l’Italie pour l’assurance automobile). Le droit ne s’oppose pas non plus à ce que d’autres le fassent pour l’État (par une assurance pour compte : C. assur., art. L. 112-1, al. 2) ou pour eux-mêmes. Il faut ici rappeler qu’il suffit d’avoir un intérêt à la conservation d’une chose pour la faire assurer (C. assur., art. L. 121-6, al. 1 er) et que cet intérêt, qui peut être indirect (C. assur., art. L. 121-6, al. 2), doit être compris dans un sens large, économique et non juridique (J. Kullmann, Lamy assurances, 2019, n° 35). Le diocèse de Paris, qui occupe gratuitement les lieux, aurait pu les assurer, comme – semble-t-il – il l’a fait pour certains objets précieux ou certaines reliques dont il était propriétaire et entreposées dans l’édifice. Mais précisément, il ne l’a pas fait pour les murs, alors qu’un locataire, qui de surcroît répond de l’incendie (C. civ., art. 1733), l’aurait sans doute fait (ou, pour les immeubles d’habitation, aurait dû le faire : L. n° 89-462, 6 juill. 1989, art. 7, g). Il a dû estimer que la charge des primes aurait été trop lourdes… ou que l’édifice était inassurable.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck