[Edito] France Télécom et nous

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 19 – 13 MAI 2019

France Télécom et nous

Pascale Robert-Diard

J’ai longtemps été abonnée à France Télécom. Aujourd’hui, les noms de deux opérateurs concurrents s’affichent sur mon téléphone portable et sur ma box. Je fais partie de ceux qui, au mitan des années 2000, ont définitivement renoncé à cet objet qui fut à cadran, puis à touches et qui s’appelait le téléphone tout court, même si je me souviens encore de mon numéro de ligne fixe en 01. La mutation à marche forcée de France Télécom, j’y ai donc ma part, comme beaucoup d’entre nous.

Le procès de sept anciens dirigeants de France Télécom, dont son ex PDG Didier Lombard, renvoyés pour « harcèlement moral » ou complicité de ce délit, qui s’est ouvert lundi 6 mai devant le tribunal correctionnel de Paris, nous concerne doublement. Parce qu’il raconte à la fois un pan de l’histoire d’un monument économique du pays et notre quotidien de consommateur. Pendant deux mois et demi – l’audience est prévue jusqu’au 12 juillet – le tribunal va procéder à la radiographie d’une stratégie d’entreprise confrontée brusquement au passage d’une « logique de planification à long terme dans un environnement stable à une logique d’adaptation permanente dans un environnement instable » comme l’indique un document interne de France Télécom, cité par l’ordonnance de renvoi des juges d’instruction.

Les chiffres sont éloquents : en 1996, date à laquelle France Télécom est passé du statut de personne morale de droit public à entreprise nationale, le groupe comptait 94 % de fonctionnaires. Ils étaient 80 % en 2006. Ils ne représentent qu’un tiers de l’effectif aujourd’hui. Dans le même temps, suite à l’ouverture de la concurrence sur le marché des télécommunications, les parts de marché de France Télécom sont passées de 100 % à 37 %.

Au tribunal, il reviendra de dire si les sept prévenus – auxquels il faut ajouter l’entreprise poursuivie en qualité de personne morale – se sont rendus coupables d’« agissements répétés ayant eu pour objet et pour effet une dégradation des conditions de travail des personnels, susceptible de porter atteinte à leur droit et à leur dignité, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel », un délit puni à l’époque des faits d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (la peine et l’amende ont été doublées en 2014). Trente neuf agents ont été reconnus victimes de harcèlement moral. Parmi eux, dix-neuf se sont donné la mort entre 2007 et 2010…

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