EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 19-13 MAI 2019
LA SEMAINE DE LA DOCTRINE L’ÉTUDE
RÉFORME DE LA JUSTICE
La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, loi de réforme pour la justice numérique ?
La numérisation de la justice occupait une place importante dans la préparation de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Le texte finalement promulgué contient plusieurs dispositions traitant du numérique, même si elles sont finalement assez peu ombreuses. Parmi les principales mesures :
L’encadrement des services en ligne d’arbitrage, de médiation ou d’aide à la
saisine des juridictions ; la plainte électronique et le dossier de procédure numérique en matière pénale ; l’open data et la publicité des décisions de justice. Cette étude présente les seules dispositions de la loi relatives à l’outil numérique. La transformation numérique annoncée apparaît relative, malgré des changements notables qu’il convient d’analyser.
Jean-Baptiste Thierry, maître de conférences, université de Lorraine, Institut François Gény (EA 7301), directeur de l’IEJ de Lorraine – André Vitu

1 – Annoncée comme le « coeur du réacteur » de la réforme 1 , la transformation numérique fondait beaucoup d’espoirs du législateur. La numérisation était l’instrument d’une ambition affirmée qui, fondée sur la puissance de l’outil informatique, allant au-delà de la simple reproduction numérique des procédures physiques, permettait d’envisager une déjudiciarisation ambitieuse par le recours à des plateformes judiciaires 2 . La méthodologie employée et les doutes quant au parti-pris adopté étaient déjà nombreux 3 : la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice n’a malheureusement pas effacé l’impression d’improvisation existant autour de la numérisation qui risquait de n’être qu’une illusion.
2 – Logique gestionnaire. – Le numérique est un outil qui n’est pas en lui-même prescripteur de comportements : la puissance d’un outil est en effet sans utilité pour qui ne sait pas le manier. Encourager le recours au numérique sans réfléchir à la finalité de ce recours peut alors aisément revenir à procéder à l’envers, en confondant les fi ns et les moyens. Les fi ns affichées par le législateur sont programmatiques et éminemment polysémiques, si l’on s’attache aux intitulés des divisions de la loi : « Simplifier la procédure [civile et administrative] » , « simplification et renforcement de l’efficacité de la procédure pénale » . Mais le sens de cette simplification et de cette efficacité n’est guère évident : ce n’est qu’à la lecture des dispositions relatives aux outils numériques qu’il apparaît réellement. Par exemple, le recours au dossier de procédure numérique, envisagé dans le nouvel article 801-1 du Code de procédure pénale, figure dans une section « (…) étendant les pouvoirs des enquêteurs » : il est donc question d’une efficacité répressive de la procédure et non d’une mesure destinée à assurer l’efficacité de la défense ou de l’équilibre procédural. La lecture des dispositions de simplification de la procédure civile n’est guère plus rassurante puisqu’il s’agit de déjudiciariser à marche forcée, l’outil numérique étant censé « Développer la culture du règlement alternatif des différends » . Plutôt que de s’interroger sur la fin afin d’en ajuster les moyens, le législateur pourrait sembler avoir inversé le raisonnement…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck