[Edito] Pia, Patrice Spinosi

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 26 – 1er JUILLET 2019

EDITO

Pia

Patrice Spinosi

20 ANS. C’est la peine qu’encourt en Italie Pia Klemp, cette femme de 35 ans, capitaine du navire humanitaire le Sea Watch 3, qui a porté assistance en Méditerranée à une embarcation de migrants. 20 ans ! Autant en France que pour un vol avec arme, un viol sur mineur ou des violences en réunion sur un fonctionnaire de police ayant entrainé une mutilation permanente. C’est, en tout cas, la peine prévue en Italie pour ceux qui, comme elle, sont accusés d’aide à l’immigration Illégale. Il est vrai qu’avec plus d’un millier de réfugiés sauvés à son actif, dont chacun est susceptible de lui coûter 15 000 euros d’amende, Pia Klemp apparaît, aux yeux des partisans de Matteo Salvini, comme une dangereuse activiste. Et pour cause : ces dernières semaines, cette jeune allemande au corps tatoué et au port altier est devenue le symbole de la violente répression que certains pays européens entendent mettre en oeuvre pour tarir l’assistance portée à ceux qui viennent encombrer leurs frontières. Qu’importe les règles du droit maritime et l’obligation d’assistance aux navires en détresse ! La logique de ces États est toujours la même. Ils instrumentalisent les textes pénaux initialement prévus pour condamner les passeurs et leurs réseaux afin de poursuivre ceux qui, par altruisme, portent assistance aux migrants qui cherchent à entrer illégalement dans leur pays. L’effet dissuasif est garanti. Il faut avoir l’humanité bien chevillée au corps pour prendre le risque de subir la même peine qu’un pédophile en aidant un migrant à entrer sur le territoire européen. C’est ce régime de la terreur légale que certains comme Pia Klemp ont décidé de dénoncer. Non pas seulement par des mots mais aussi par des actes. C’est peut-être cela ce que l’on appelait, au siècle dernier, le courage. En France, dans une moindre mesure, Cedric Herrou a fait de sa poursuite pénale un exemple. Dénonçant la légitimité de l’État à poursuivre les délits dits « de solidarité », il a obtenu l’année dernière du Conseil constitutionnel qu’il consacre le principe fondamental de fraternité. Grace à sa résistance, notre droit garantit désormais la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. Mais remporter une victoire est loin de suffire à gagner une guerre. Celle contre l’immigration clandestine est autant juridique que politique. Corrélée avec la montée des extrémismes en Europe et le repli des démocraties sur elles-mêmes, elle nous met tous, collectivement, à rude épreuve face à nos valeurs humanistes et morales…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck