LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 38 – 16 SEPTEMBRE 2019
EDITO
Carton rouge
Nicolas Molfessis

Efficacité de la sanction, autonomie de l’ordre juridique sportif, relations entre fédération sportive et Ligue de football professionnel, distinction des types de discriminations, les phrases « choisies » de Noël Le Graët sur l’homophobie dans les stades constituent – aussi – une adresse aux juristes.
On pourrait les analyser d’un point de vue purement technique. D’où vient la règle de l’interruption des rencontres qu’il entend abandonner ? Elle trouve son fondement dans la loi 5 des Lois du jeu , à partir de laquelle la FIFA a mis en place une procédure en trois étapes en cas d’incident à caractère discriminatoire lors de ses compétitions : interruption, arrêt temporaire, arrêt définitif. La sanction est progressive. Elle a été réitérée par une recommandation de la FIFA, par voie de circulaire du 25 juillet 2019. Les consignes données aux arbitres de ne plus interrompre les matchs prévalent-elles sur les préconisations de la Ligue de football professionnel ? Sans doute : les arbitres dépendent de la Direction nationale de l’arbitrage, structure de la FFF. Au demeurant, l’article 16 de la Convention entre la FFF et la LFP énonce clairement que les matchs du Championnat « sont dirigés par des arbitres de la FFF ». La Ligue n’est que « déléguée dans la gestion du football professionnel » par la FFF (art. 1 er).
On pourrait ensuite s’interroger sur la pertinence même d’une interruption des matchs en cas d’actes homophobes. Le Président de la Fédération y voit une sanction inadaptée parce qu’elle punirait un stade pour les agissements d’une minorité (« quand, sur 30 000 personnes, il y a 2 000 imbéciles, je ne veux pas que les 28 000 autres soient punies ») – mais on ne punit pas un stade pour des « imbéciles », M. le Président, on stoppe un acte discriminatoire. Surtout, et l’argument, repris par le Président de la République lui-même, mérite cette fois l’attention : l’interruption encouragerait le comportement homophobe de ceux qui trouveraient intérêt à l’arrêt du match. Nous voilà avec Le Graët en lecteur de Flexible droit puisque c’est là un « phénomène d’incidence », comme a pu les analyser Carbonnier : la sanction incite à l’infraction parce que la peine, inadaptée, rapporte à ses auteurs plus qu’elle ne leur coûte. Là aussi, c’est à discuter, dès lors que l’issue – l’arrêt définitif – se solde par la perte du match.
On pourrait enfin s’intéresser à la question, cruciale, de la caractérisation de l’acte homophobe. C’est affaire de vocabulaire et l’on débat, dans L’Équipe comme dans les instances officielles, de ces mots qui relèvent de l’insulte homophobe et non du seul mauvais goût. Au point que certains préconisent d’établir une liste de mots, un lexique de l’homophobie, issue aussi illusoire que contre-productive.
Mais si ces discussions sont essentielles, elles ne sauraient avoir lieu dès lors que Noël Le Graët refuse d’appliquer à l’homophobie une sanction dont il continue de prôner la mise en oeuvre ferme en cas de racisme. En introduisant une telle distinction, le président de la FFF, au-delà de l’incohérence d’une telle opinion, se rend lui-même coupable de discrimination. Les « valeurs du sport » (C. sport, art. L. 224-1) ne permettent pas le classement des actes discriminatoires, et les règles posées
par la fédération ne sont pas à l’abri d’un ordre public qui condamne les injures homophobes au même titre que les injures racistes (C. pén., art. 225-1). Le président de la FFF s’est de lui-même exclu des discussions qu’il aurait légitimement pu initier.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck