Droit à l’oubli

EXTRAIT DE LA REVUE A SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 41 – 7 OCTOBRE 2019

LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA VIE DES IDÉES

LE MOT DE LA SEMAINE

Droit à l’oubli

Européen sans être mondial, il s’applique aux données sensibles

Francis Donnat, conseiller d’État, secrétaire général de France Télévisions, expert du Club des juristes

Deux arrêts rendus le 24 septembre par la Cour de justice de l’Union européenne sur renvois préjudiciels du Conseil d’État ont apporté d’importantes précisions sur la portée du droit au déréférencement (ou « droit à l’oubli ») créé par l’arrêt Costeja du 13 mai 2014 (aff. C-131/12 : JurisData n° 2014-009597 ) en vertu duquel un moteur de recherche est tenu de supprimer de la liste des résultats affichés à la suite d’une recherche nominative les liens vers les pages web contenant des informations relatives à la personne dont le nom était recherché sauf si, au regard du « rôle joué par ladite personne dans la vie publique », l’intérêt du public à l’information l’emporte sur le droit au déréférencement.

Le premier arrêt (aff. C-507/17 : JurisData n° 2019-016166 ) tranche la question de savoir quelle doit être la portée territoriale de ce droit. Faut-il l’appliquer mondialement à toutes les extensions du moteur de recherche, y compris au « .com », ou seulement aux extensions de nom de domaine des États membres de l’Union ? À cette question la Cour de justice répond que si le législateur européen a entendu mettre en balance, pour l’Europe, droit au respect de la vie privée et intérêt du public à accéder à l’information, il ne s’est pas livré à cette pesée pour le reste du monde, où les conceptions peuvent varier considérablement d’un pays à l’autre. Il en découle que le droit de l’Union n’impose d’appliquer le droit à l’oubli qu’au niveau européen, c’est-à-dire sur les extensions de nom de domaine des États membres, obligation assortie de celle d’empêcher ou, à tout le moins, de rendre difficile l’accès depuis le territoire de l’Union aux liens en cause via une version non européenne du moteur de recherche. La Cour précise toutefois que si le droit de l’Union n’impose pas un déréférencement mondial, il ne l’interdit pas non plus, et laisse ainsi aux autorités nationales le soin, le cas échéant, de l’imposer si elles le souhaitent.

Le second arrêt ( aff. C-136/17 : JurisData n° 2019-016165 ) répond à la délicate question de savoir comment appliquer le droit au déréférencement lorsque sont en cause des données dites « sensibles » relatives à l’origine raciale ou ethnique, aux opinions politiques ainsi qu’aux convictions religieuses ou philosophiques. La Cour rappelle tout d’abord que le traitement de ce type de données est en principe interdit, sauf exceptions, lesquelles ne couvrent pas l’activité des moteurs de recherche. Il en découle qu’un moteur de recherche est « en principe » tenu de déréférencer les liens menant vers des pages web sur lesquelles figurent des données sensibles. La Cour de justice poursuit toutefois en rappelant que le RGPD prévoit expressément que le droit au respect de la vie privée doit être mis en balance avec la liberté d’information.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck