EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 42 – 14 OCTOBRE 2019
Edito
Du procès politique au procès politisé
Denis Salas

Il y a quelques semaines, le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon ne décolérait pas face au « procès politique » qui, selon lui, le frappait. La poursuite n’était pourtant pas sans fondement. N’avait-il pas proféré des menaces à l’égard des policiers pendant la perquisition du siège de son parti ? Une pétition (« le temps des procès politiques doit cesser ! »), un livre publié à la hâte suivi d’une manifestation aux marches du palais ont orchestré cette opération bruyamment médiatisée.
Disons-le d’emblée : un tel procès n’est en rien un procès politique. C’est une stratégie de défense qui a une histoire spécifique. Dans sa lettre à Stassova et aux camarades emprisonnés de 1905, Lénine soulignait la nécessité pour les accusés par le régime tsariste d’utiliser l’audience comme une tribune politique. C’est cette indispensable politisation des débats que l’avocat communiste Marcel Willard reprendra en 1938 pour caractériser le rôle de l’avocat révolutionnaire. Il s’agit de faire des militants non pas des prévenus mais des combattants qui dénoncent l’illégitimité de la justice bourgeoise. « La défense accuse… » est le titre de l’ouvrage de Marcel Willard avant que Jacques Vergès ne popularise la formule « défense de rupture ».
Le procès politique tel que les sciences sociales le définissent a une tout autre histoire. Son rituel s’impose avec les régimes absolutistes et impériaux. Les totalitarismes du XX e siècle vont lui donner les traits que nous lui connaissons : le juge est sous contrôle, la procédure ignore la défense et une peine d’élimination en est la conclusion fracassante. C’est une perversion du procès pénal faite pour dégrader et dissuader qui est inhérente aux régimes de confusion des pouvoirs. Ses formes peuvent varier mais nul régime n’en est exempt notamment en période de crise. Ainsi la Cour de sûreté de l’État née pendant la guerre d’Algérie en 1962 a fonctionné sous la V e République durant 20 ans.
Mais la Cour de sûreté de l’État a été supprimée en 1981. Nous ne connaissons depuis lors – faut-il le rappeler que des tribunaux de droit commun soumis à la Convention européenne de droits de l’homme et au bloc de constitutionnalité. Parler à tort et à travers de procès politique dès qu’un élu est impliqué dans une affaire c’est balayer la séparation des pouvoirs et l’indépendance des juges au nom d’une légitimité électorale présumée souveraine. C’est ignorer que les hommes politiques ne peuvent plus se juger eux-mêmes selon leur éthique ou n’être justiciables de leurs fautes que devant leurs électeurs.
L’exclamation de Jean-Luc Mélenchon « La République, c’est moi ! » exprime la nostalgie d’une identification du peuple avec son porte-parole. Tout se passe comme si le vieux jacobinisme retrouvait des couleurs à travers le discours populiste. En réalité, la révélation de la corruption politique ces dernières années a brisé la fiction d’une élite vertueuse incarnant la volonté du peuple. Entre le peuple et ses représentants, le juge, au sens d’un tiers pouvoir, est désormais un recours offert aux citoyens pour faire valoir leurs droits au besoin contre l’action des pouvoirs élus. Encore faut-il lui reconnaître cette place.

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