[Edito] Balance ton édito, Nicolas Molfessis

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 44-45 – 28 OCTOBRE 2019

Edito

Balance ton édito

Nicolas Molfessis

L’affaire fait grand bruit depuis plusieurs mois, sans doute parce qu’elle sollicite l’imagination autant que les discussions juridiques. Elle vient également de provoquer, chez un collègue qui n’est pas coutumier de la chose, un propos d’un autre temps.

On évoque ici l’affaire dans laquelle un homme de 68 ans, pour berner des femmes, s’était fait passer sur des sites de rencontre pour un architecte d’intérieur de 37 ans, travaillant à Monaco, au physique avenant illustré d’une photo de mannequin. L’individu, après avoir entretenu une relation sans contact physique avec des femmes repérées comme particulièrement vulnérables, devait mettre en place un scénario emprunté à un roman fameux, consistant à leur proposer d’avoir une relation sexuelle les yeux bandés et les mains attachées, sans jamais avoir pu le voir avant de passer à l’acte.

La Cour de cassation y a vu l’emploi de « stratagèmes », justifiant la qualification de viol (Cass. crim., 23 janv. 2019, n° 18-82 . 833) ou, dans une affaire différente, d’agression sexuelle (Cass. crim., 4 sept. 2019, n° 18-85 . 919), par surprise . Divers pénalistes ont depuis justifié la qualification retenue, qui se situe dans une lignée jurisprudentielle ayant défi ni la « surprise » comme le fait de profiter, en connaissance de cause, de l’erreur d’identification commise par une personne pour pratiquer sur elle des actes à caractère sexuel (Cass. crim., 11 janv. 2017, n° 15-86 . 680).

Pourtant, un professeur de droit vient d’exprimer un point de vue bien différent, dans un éditorial dont le titre, inspiré par le fait que l’une des décisions précitées avait rappelé que l’auteur des actes était en réalité un « vieil homme à la peau fripée et au ventre bedonnant », se suffit à lui-même : « le viol par plis et surpoids » (D. 2019, p. 1929). Le reste est à l’avenant. Sont ainsi pointés : l’ « imprudence sidérante pour des trentenaires » des victimes, le fait qu’elles auraient dû « remercier le ciel de n’avoir pas été tuées » plutôt que porter plainte pour viol, le « bon sens » de la chambre de l’instruction qui avait refusé la qualification de viol puisque « ces dames allèrent chez l’homme pour un rapport sexuel », ce qui marquait qu’« il y avait donc consentement ». La discussion glisse alors sur le fait qu’on ouvrirait là la boîte de Pandore : « à quel degré de surpoids ou de rides glisse-t-on du rapport consenti au viol ? Quid de la couleur des yeux, etc. », pour insinuer : « n’esquisse-t-on pas ainsi, à mivoix, une carte du tendre distinguant ceux qui auraient d’évidence vocation à s’ébattre et ceux qui ne sauraient décemment y prétendre ? » Quant à « la façon dont est soulignée la fragilité psychique (peut-être réelle) des deux plaignantes », elle « ajoute au malaise ».

Ne discutons pas du fond, quand bien même il est établi que le stratagème avait été utilisé pour extorquer la volonté des victimes. Il ne sert sans doute également à rien de rappeler que la Chambre criminelle, dans les deux décisions, a jugé qu’il y avait erreur sur l’identité de l’individu et non sur la taille de son ventre. Notre collègue, loin de s’en trouver désarmé, y puise même matière à nourrir son courroux et à affûter ses métaphores : « l’identité de l’être humain se résumerait donc à – ou serait avant tout constituée de – son physique, à l’instar du percheron ou de la charolaise ». Ses références animalières sont pourtant bien mal choisies. Ici, il n’est question ni de cheval ni de vache. Mais de porc.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck