EXTRAIT DE LA REVUE A SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 48 – 25 NOVEMBRE 2019
LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA VIE DES IDÉES
LE MOT DE LA SEMAINE
Justice et politique
Les raisons d’une relation conflictuelle
Bertrand Mathieu, professeur de droit à l’université Paris 1, conseiller d’État en service extraordinaire, expert du Club des juristes

Les interférences entre l’activité politique et la fonction juridictionnelle saturent l’espace médiatique. Affaire Tapie, affaire Fillon, affaire Ferrand, affaire Cahuzac, affaire Urvoas, affaire Balkany, affaires Sarkozy, affaire Balladur, affaire Mélenchon… la liste est ouverte.
Cette situation relève assez largement d’un effet d’optique. Sous la III e République, les affaires Stavisky ou du canal de Panama, sous la V e République, les affaires Boulin, de Brooglie, Bérégovoy, celle de la MNEF, étaient d’une autre ampleur. En réalité cette situation tient à plusieurs facteurs qui se rattachent tous plus ou moins à la perte de confiance des citoyens vis-à-vis des responsables politiques. Un responsable politique est moins jugé sur ses résultats que sur son strict respect de règles éthiques et juridiques de plus en plus nombreuses. La frontière entre vie politique et vie privée est de plus en plus ténue, les vertus publiques ne couvrent plus les vices privés. L’appréciation de cette situation demande aussi de distinguer entre les « affaires ». Certaines d’entre elles visent des infractions de droit commun, par exemple la fraude fiscale. D’autres sont, à des degrés divers, étroitement liées à l’activité politique elle-même : les tâches confiées à des assistants parlementaires, le choix de recourir ou non à l’arbitrage dans une affaire opposant une banque publique et un homme d’affaires…Ces dernières affaires concernent très directement les rapports entre la justice et la politique et conduisent à s’interroger sur l’évolution du système démocratique.
Le système de démocratie libérale exige une séparation entre le pouvoir politique à qui revient la détermination de ce qui relève de l’intérêt général, et celui des juges à qui appartient le contrôle du respect des normes ainsi établies. Dans ce système, il n’est pas sain que les politiques interviennent dans le champ judiciaire ni que les juges interviennent dans le champ politique.
L’un des principes fondamentaux de la démocratie est celui de la responsabilité politique. Ainsi les gouvernants doivent rendre compte devant le Parlement de leurs décisions politiques. Ils ne sont responsables devant les juges que des infractions pénales qu’ils peuvent commettre. Or il est incontestable, pour des raisons qu’il n’y a pas lieu d’expliciter ici, que la responsabilité politique ne fonctionne plus. Alors que le régime parlementaire est né de la transmutation de la responsabilité pénale en responsabilité politique, le phénomène inverse est à l’oeuvre aujourd’hui…

LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE
Le magazine scientifique du droit.
Votre revue sur tablette et smartphone inclus dans votre abonnement.
AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck