Concentrations communautaires

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 50 – 9 DÉCEMBRE 2019

LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA VIE DES IDÉES

LE MOT DE LA SEMAINE

Concentrations communautaires

Politique industrielle et contrôle des
concentrations dans l’UE

Jacques Buhart, avocat aux barreaux de Paris et Bruxelles, McDermott Will & Emery, expert du Club des juristes

À la fin des années 80, lors de la négociation du Règlement sur les concentrations (« Règlement »), les États membres (« EM ») débattaient déjà des critères d’appréciation des concentrations : concurrence et/ou politique industrielle. Sous l’influence du Royaume-Uni et de l’Allemagne, le Règlement a écarté le second critère et, dans sa version de 2004, le texte est clair : une concentration est appréciée au regard de « l’entrave significative à une concurrence effective », ne laissant aucune place à la politique industrielle ou à l’intérêt communautaire. N’oublions pas toutefois que cette rigueur est atténuée par l’article 21(4) du Règlement qui permet aux EM d’intervenir pour protéger des intérêts légitimes autres que ceux pris en compte par le Règlement. Ainsi, en 1995 la Commission européenne (« Commission ») avait reconnu la réglementation de l’eau comme intérêt légitime permettant au Royaume-Uni d’intervenir dans l’affaire Lyonnaise des Eaux contre Northumbrian Water.

Malgré les critiques sur le contrôle européen des concentrations, les décisions de la Commission sont à ce jour particulièrement détaillées et confèrent au monde des affaires prévisibilité et irrévocabilité. Elles le sont d’autant plus qu’elles peuvent faire l’objet de recours devant les tribunaux européens. Certes, ceux-ci sont limités en raison du calendrier serré des concentrations, mais les jugements montrent que les tribunaux européens exercent un contrôle très strict de l’application du Règlement par la Commission (V. aff. T-394/15, KPN BV c/ Commission ). Dans l’affaire Siemens contre Alstom et en l’état actuel du Règlement, la Commission risquait de se faire censurer par le Tribunal si elle autorisait la concentration au nom d’une politique industrielle, surtout que certaines parties intervenantes n’auraient pas hésité à former un recours en annulation. Cette rigueur européenne contraste notamment avec la Chine (qui a adopté une législation proche du Règlement mais avec des critères
d’intérêt national) et les États-Unis qui fournissent très peu d’informations sur leur analyse des concentrations, ce qui limite les recours judiciaires. Le Règlement a déjà résisté aux pressions venant de la Suède dans l’affaire Volvo contre Scania, de la France dans l’affaire Schneider contre Legrand, de la Grèce dans la fusion Olympic Air contre Aegean Airlinesou, et de l’Allemagne dans l’affaire Vodafone contre Mannesmann.

L’affaire Siemens contre Alstom de février 2019 a ainsi relancé le débat sur l’adaptation de la politique de concurrence aux nécessités du XXI e siècle. La France et, cette fois, l’Allemagne, ont publié un manifeste proposant notamment la mise en place d’un droit de recours du Conseil contre les décisions de la Commission, à l’image de ce qui existe déjà au plan national notamment en Allemagne (Ministererlaubnis), et en France (droit d’évocation du ministre)…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck