[Edito] Dénoncer, jusqu’où, jusqu’à quand ?

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 51 – 16 DÉCEMBRE 2019

Edito

Dénoncer, jusqu’où, jusqu’à quand ?

Pascale Robert-Diard

On connaîtra le 30 janvier la décision de la cour d’appel de Lyon dans l’affaire Philippe Barbarin. Reconnu coupable de « non-dénonciation d’agressions sexuelles » et condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis par les juges du tribunal correctionnel, le cardinal « en retrait » de Lyon, espère une relaxe. Le procès Barbarin n’a pas démenti la règle selon laquelle l’intensité médiatique et, au-delà d’elle, l’intérêt et l’émotion de l’opinion publique, baissent singulièrement en appel. L’audience des 28 et 29 novembre a ainsi laissé une plus grande place au droit. A-t-il été plus audible parce que plus solidement exposé ou est-il apparu plus solide parce qu’il était mieux écouté ? Les deux sans doute.

Toujours est-il que la plus grande plaidoirie en faveur de la relaxe de Philippe Barbarin est venue de l’avocat général Joël Sollier. Si la position du ministère public n’est pas une surprise – il est sur la même ligne que la défense depuis le début de cette affaire jugée sur citation directe – elle s’est enrichie, par la voix de Joël Sollier, d’un redoutable réquisitoire contre… les premiers juges. « La justice ne peut faire du symbolique son principe d’action ni son but ultime, même si un effet symbolique s’attache à ses décisions », a relevé l’avocat général en contestant vigoureusement l’interprétation que le tribunal a faite de l’article 434-3 du Code pénal sur le délit de non-dénonciation.

Qui ? Quoi ? Et surtout jusqu’où et jusqu’à quand ? Où s’arrête pour les uns le devoir de se substituer au silence des autres ? Comme l’ont relevé tant Me Jean-Félix Luciani, en défense de Philippe Barbarin, que l’avocat général Joël Sollier, ce qui est en jeu dans cette affaire est rien moins que l’équilibre périlleux entre la protection due aux victimes et le respect de leur libre-arbitre. « L’esprit de la loi française, a observé l’avocat, n’est pas de confisquer à des victimes, devenues adultes, leur liberté de dénoncer ou non les faits dont elles ont été victimes dans leur enfance, de choisir la solution judiciaire ou non, qu’elles estiment la meilleure ». Suivre la voie ouverte par le tribunal, a renchéri l’avocat général, reviendrait à rendre le délit de non-dénonciation « quasiimprescriptible ». « Une logique « inconditionnelle et absolutiste » dont la conséquence pourrait être de « poursuivre les familles, mais aussi les conjoints des victimes, ou encore des proches, ou de simples relations à qui les faits auraient été révélés », voire, en poussant le raisonnement jusqu’à l’absurde, « poursuivre les victimes elles-mêmes, devenues adultes, qui n’ont pas dénoncé les faits, ne serait-ce que pour protéger autrui des tourments et de l’auteur dont elles connaissent la réalité ».

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