EXTRAIT DE LA REVUE DROIT PÉNAL – N° 1 – JANVIER 2020
Féminicide : le poids des mots – et des chiffres
Philippe CONTE, professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II), directeur de l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris

Le terme « féminicide », qui porte en lui la dénonciation des meurtres misogynes commis par haine de la femme, n’a aucun poids juridique et il est à souhaiter qu’il n’en ait jamais, si l’on veut bien concéder que le genre humain est indivisible et se souvenir des expériences abominables qui se sont épanouies sur le fondement d’idéologies contraires postulant une pluralité d’humanités. Est-il plus grave de tuer une femme qu’un homme – et donc une fillette qu’un garçonnet ? Dès lors que le pouvoir patriarcal ne saurait justifier l’affirmative (ou il faut, alors, s’avouer partisan de la responsabilité collective, en faisant payer le patriarcat à tout homme parce qu’il est un homme), faut-il croire que le genre masculin est porteur d’une tare congénitale qui lui est propre, comme le serait un chromosome de la violence ? Si tel est le cas, on pourrait parler de race – et de racisme (en parallèle au racisme que les féministes dénoncent et dont serait victime la femme). Partant, en application de l’égalité de tous devant la loi, il s’agirait, à tout le moins, d’incriminer le « viricide », pour sanctionner celles qui commettraient un meurtre raciste par misandrie et haine des mâles. À ce stade, pouvons-nous confesser notre préférence, à tout prendre, pour la solution du Code pénal, aggravant les peines encourues lorsque l’infraction est commise par les conjoint, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité, actuels ou passés, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas avec leurs victimes ?
Suivons ce modèle racial, et le Blanc sera disqualifié pour parler de ce que ressent le Noir, le Noir de ce que ressent le Jaune, l’Homme de ce que ressent la Femme, l’Hétérosexuel de ce que ressent l’Homosexuel, le Transsexuel, l’Inter-sexuel (nous devons en oublier), et vice-versa : chaque communauté, emprisonnée dans son être prétendument singulier, ne sera autorisée à parler que d’elle, murée dans son entre-soi et portant sur les autres le regard de l’Étranger. À quand des cités du bonheur dotées de quartiers de haute sécurité et miradors, réservés ici aux hommes, là aux femmes, mais afin de s’y parquer soi-même, avec laissez-passer pour vérifier l’appartenance au bon sexe (de tels quartiers existent de l’autre côté de l’Atlantique, exclusivement féminins, y compris s’agissant de celles venues réparer la machine à laver ou ramasser les poubelles) ? L’apartheid devient-il un modèle enviable lorsqu’il est voulu par les intéressés eux-mêmes ? Mais la diffusion si rapide du mot dans tous les discours montre, en revanche, tout son poids d’utilité sociale : ce succès traduit la prise de conscience collective du caractère insupportable de ces violences, ce qui ne peut être que bénéfique. Il est seulement regrettable que, portés par l’ardeur militante (le militant finira par devenir un objet d’étude scientifique), les zélateurs du combat pour l’égalité aient donné écho à des statistiques dont l’examen montre qu’elles mélangent des situations très différentes – ce qui confirme le conseil, prêté à Churchill, de ne faire confiance à ces chiffres qu’à la condition de les avoir falsifiés soi-même.

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AUTEUR(S) : Philippe Conte, Albert Maron, Jacques-Henri Robert