EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 5 – 3 FÉVRIER 2020
EDITO
Colloque 2.0
Patrice Spinosi

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé les colloques. Ma mère était universitaire et enfant, je la voyais régulièrement travailler sur des interventions dont les sujets abscons résonnaient en moi comme autant de mystères cachés : « La fiducie est-elle un trust à la française ? », « Droit comparé intégratif contre différencialiste : les non-dits de la dichotomie ». J’étais fasciné. J’imaginais des réunions presque magiques où l’on façonnait la justice en faisant avancer le monde. Adulte, j’ai su résister à la confrontation avec le réel. Certes, les titres aux noms déroutants ont perdu de leur superbe quand j’en ai compris le sens et l’aréopage idéalisé des participants m’a semblé plus commun après avoir arpenté les bancs de l’université. Mais la stimulation intellectuelle est restée la même. Les colloques ne m’ont pas déçu. On y refaisait le droit, on y commentait la jurisprudence, on y prospectait la loi. C’était il y a 30 ans. Et depuis rien n’a changé. Ni sur la forme, ni sur le fond. En 1990 comme en 2020, un thème général est traité en une journée. Une série d’intervenants s’exprime tour à tour sur différents sujets sous la direction d’un modérateur. Quand il reste du temps, la parole est laissée au public pour des questions qui en sont rarement. Pourtant, pendant la même période, la prise de parole dans le monde professionnel s’est transformée. À l’instar des célèbres conférences TED, la communication à destination d’un auditoire prend désormais une forme bien différente. L’intervention se fait en moins de dix minutes, debout, sans note. Le format a des règles défi nies à l’efficacité prouvée : une accroche, une problématique synthétique, des illustrations pratiques souvent accompagnées d’images ou de vidéos, de l’humour, une conclusion positive. Certes, la performance s’apparente plus au stand-up à l’américaine qu’aux cours magistraux mais cela marche. Les études montrent que les participants à ces séminaires adhèrent beaucoup plus facilement à des sujets pourtant réputés techniques et arides. Ce d’autant plus que pour favoriser l’interactivité, les prises de paroles sont le plus souvent suivies d’ateliers. Le public peut y retrouver les intervenants en petit groupe pour échanger sur leur expérience. Cette tendance du monde de la communication interroge les canons habituels de nos exercices académiques. Sans tomber dans la vulgarisation à outrance et tout en préservant le particularisme du savoir universitaire, ne peut-on pas s’en inspirer ? Ainsi, les organisateurs d’un colloque pourraient proposer aux intervenants un format plus directif et dynamique. Demander aux modérateurs d’être plus présents pour recentrer ou rediriger les débats. Créer pour la manifestation une adresse mail ou un fil twitter pour y adresser les questions en live d’un public connecté. Les débats s’en trouveraient mieux adressés, plus pertinents. Les colloques s’ouvriraient au plus grand nombre, conformément à la vocation première des universités. Cela reste à inventer… Il est vrai que nos habitudes sont souvent difficiles à dépasser. Mais quand la révolution numérique a transformé presque toutes les activités scientifiques, le colloque universitaire aura bien du mal à s’en abstraire. Reste à savoir comment et surtout quand de tels changements interviendront.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck