Responsabilité de l’État

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 7-8 – 17 FÉVRIER 2020

LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA VIE DES IDÉES

LE MOT DE LA SEMAINE

Responsabilité de l’État

Responsabilité du fait des lois inconstitutionnelles

Yann Aguila, avocat à la cour, Cabinet Bredin Prat, président de la commission environnement du Club des juristes

Guillaume Froger, avocat à la cour, Cabinet Bredin Prat

Le Conseil d’État vient de franchir un pas considérable. Pour la première fois, par trois décisions Société Paris Clichy et autres rendues le 24 décembre 2019, il a reconnu la possibilité d’engager la responsabilité de l’État du fait des lois inconstitutionnelles. La consécration de ce nouveau régime de responsabilité de l’État législateur est le fruit d’une rencontre – presqu’une collision – entre deux grandes évolutions du droit.

La première touche au droit de la responsabilité. En 2007, le Conseil d’État avait admis que la responsabilité de l’État puisse être engagée du fait d’une loi contraire au droit de l’Union européenne, et plus largement aux « engagements internationaux de la France » ( CE, 8 févr. 2007, Gardedieu, n° 279522). Ce nouveau régime est venu s’ajouter à l’hypothèse traditionnelle de responsabilité sans faute du fait des lois, pour rupture d’égalité devant les charges publiques, lorsqu’une loi a causé un préjudice « grave et spécial » ( CE, 14 janv.1938, SA des produits laitiers « La Fleurette » ).

La seconde évolution concerne le principe de légalité. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit dans notre droit un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori. Grâce à la QPC, le Conseil constitutionnel peut désormais examiner la conformité à la Constitution d’une loi déjà promulguée. Les déclarations d’inconstitutionnalité qu’il prononce ont naturellement fait surgir la question indemnitaire : quid si une loi inconstitutionnelle a causé un préjudice ? Le Conseil d’État a donc étendu la jurisprudence Gardedieu aux lois contraires à la Constitution, « en raison des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes ». Cette solution était attendue. Il en allait, selon les conclusions de Marie Sirinelli, « de l’effectivité des principes de légalité et de responsabilité, inhérent à l’État de droit ».

Ce nouveau régime de responsabilité est néanmoins encadré par des conditions propres, qui tiennent à l’articulation du rôle du Conseil d’État avec celui du Conseil constitutionnel. D’une part, la responsabilité de l’État n’est susceptible d’être engagée que si ce dernier a déclaré la disposition en cause inconstitutionnelle. D’autre part, le juge constitutionnel ne doit pas s’être opposé à toute demande d’indemnisation : en effet, celui-ci règle parfois lui-même les effets (y compris pécuniaires) des déclarations d’inconstitutionnalité qu’il prononce…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck