Prendre en compte la violence conjugale sous toutes ses formes

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 9 – 2 MARS 2020

LA SEMAINE DU DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN

INTERDICTION DES MAUVAIS TRAITEMENTS ET DROIT AU RESPECT
DE LA VIE PRIVÉE

Prendre en compte la violence conjugale sous toutes ses formes

Frédéric Sudre, professeur émérite, université de Montpellier

CEDH, 11 févr. 2020, n° 56867/15, Buturugà c/ Roumanie : JurisData
n° 2020-001813

Si l’affaire est tristement banale – la requérante allègue avoir subi des faits de violence de la part de son époux ainsi qu’une violation de sa correspondance électronique -, l’arrêt est novateur en ce qu’il renforce la prohibition conventionnelle de la violence conjugale. Par une utilisation combinée des articles 3 et 8 de la Convention, la Cour se donne les moyens d’« appréhender de manière globale le phénomène de violence conjugale dans toutes ses formes » (§ 76 ) et, à cette fi n, met à la charge de l’État une obligation positive continue de l’article 3 à l’article 8 – de protection adéquate des victimes de violence conjugale.

Sur le terrain de l’article 3, les violences faites aux femmes font déjà l’objet d’une jurisprudence nourrie, issue de l’arrêt Opuz contre Turquie (CEDH, 9 juin 2009, n° 33401/02 : JurisData n° 2009-022589 ). Prenant appui sur la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique du 7 avril 2011, qu’elle incorpore dans son interprétation de l’article 3 de la Convention ( CEDH, 22 mars 2016, n° 646/10, M.G. c/ Turquie : JurisData n° 2016-005934 ; JCP G 2016, act. 438, obs. B. Pastre-Belda), la Cour européenne a ainsi pu affirmer que l’article 3 fait obligation à l’État de mettre en place un cadre juridique adapté afin de prévenir et de punir ces actes de violence, de protéger les victimes de tels actes et de mettre en oeuvre des enquêtes effectives et des procédures diligentes lorsque de tels actes ont été commis. En l’espèce, la Cour constate le défaut d’effectivité de l’enquête pénale relative aux allégations de la requérante de violence conjugale, pointant notamment trois défaillances : les autorités ont abordé les faits sous l’angle des dispositions du Code pénal réprimant les violences entre particuliers et non sous celles réprimant, plus sévèrement, la violence conjugale ; l’enquête interne n’a pas pris en compte les spécificités de la violence domestique, au sens de la Convention d’Istanbul ; elle n’a pas non plus permis d’identifier l’origine des lésions subies par la requérante ni la personne responsable.

Sur le terrain de l’article 8, la Cour innove. Insistant sur le fait que la violence domestique ne se limite pas à la violence physique mais « inclut, entre autres, la violence psychologique ou le harcèlement » (§ 74 ), elle souligne que la cyberviolence, sous diverses formes (violations informatiques de la vie privée, intrusion dans l’ordinateur de la victime …), est « un aspect de la violence à l’encontre des femmes » (§ 74 ). Elle considère en conséquence que « des actes tels que surveiller, accéder à ou sauvegarder sans droit la correspondance du conjoint » relèvent de la violence domestique (§ 74 ) et constate alors que les autorités internes n’ont pas examiné au fond la plainte pénale relative à la violation du secret de la correspondance et, dès lors, « ont ainsi failli à prendre en considération les diverses formes que peut prendre la violence conjugale » (§ 78). C’est donc, in fi ne , un constat de « manquement aux obligations positives au regard des articles 3 et 8 de la Convention » qu’effectue la Cour (§ 79).

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck