[En questions]Une période d’incertitudes légales et contractuelles propice au « réflexe médiation » pour l’entreprise

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 19 – 11 MAI 2020

LA SEMAINE DU PRATICIEN EN QUESTIONS

Une période d’incertitudes légales et contractuelles propice au « réflexe médiation » pour l’entreprise

Le 12 mars 2020 marque le point de départ du régime provisoire de la période juridiquement protégée (PJP), qui devait, selon l’article 1 er de l’Ordonnance n° 2020-427 (Ord. rect.) modifiant l’article 1 er de l’Ordonnance n° 2020-306, s’achever à « l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence (…) », soit en l’état des textes au 24 juin 2020. Durant cette période, l’entreprise doit s’adapter tant financièrement que dans ses relations contractuelles déstabilisées. Elle le devra encore ensuite, faisant face à de nombreux imprévus, une fragilisation économique profonde et des échéances modifiées. Le Rapport au Président de la République accompagnant l’Ordonnance rectificative précise que la date de fi n de la PJP « n’est toutefois fixée qu’à titre provisoire ». À la déstabilisation économique s’ajoute donc l’incertitude du calendrier contractuel, des échéances plus courtes que celles actuellement en vigueur pouvant être prévues par un texte ultérieur. Autant de zones grises qui, ajoutées à la complexité du régime provisoire en place, devraient convaincre les entreprises de chercher par la voie de la médiation conventionnelle des solutions constructives.

Catherine Peulvé, avocat au barreau de Paris, médiateur inter-entreprises (CMAP, CPR), membre du Conseil national des barreaux

Quel est l’impact de la crise sanitaire sur les contrats en cours ?

Pour ce qui est de sortir du contrat, c’est assez clair : si un contrat devait être résilié ou dénoncé entre le 12 mars et le 24 juin 2020, cette période ou ce délai sont prorogés de plein droit jusqu’au 24 août 2020 (en l’état des textes). C’est l’objet de l’article 5 de l’Ordonnance n° 2020-306, non modifié par l’Ordonnance rectificative. Pas de sortie possible donc avant, autrement que négociée. Sans négociation, les droits sont paralysés. Pour ce qui est de faire sanctionner le débiteur d’une obligation inexécutée, l’entreprise créancière devra également attendre. Jusqu’à quand ? Là se trouve une première zone d’incertitude. S’agissant des astreintes, clauses pénales, résolutoires ou prévoyant une déchéance de droits, il était question dans la première ordonnance d’un report automatique de leurs effets. L’Ordonnance rectificative a modifié substantiellement le calcul des délais de report : si ces astreintes ou clauses ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation qui devait être exécutée entre le 12 mars et le 24 juin 2020, elles sont gelées et ne reprendront effet qu’à compter de l’expiration d’une durée dont les modalités de calcul sont complexes et incertaines. Ainsi, à la paralysie s’ajoute l’incertitude. N’est pas venu le moment où le créancier retrouvera sa liberté d’action. Quant au débiteur, si son obligation porte une somme d’argent exigible après la fin de la PJP (et sanctionnée par une astreinte ou clause pénale, résolutoire ou de déchéance), il ne bénéficiera pas du report du cours de l’astreinte ou de l’effet de la clause concernée. Enfin, les astreintes et clauses pénales dont le point de départ était antérieur au 12 mars voient leur cours suspendu jusqu’au 24 juin 2020.

Quelles sont les bonnes raisons pour l’entreprise de recourir à la médiation conventionnelle pour gérer son contrat ?

Paralysie, incertitude et complexité sont autant d’ingrédients déterminants pour l’entreprise de chercher une autre voie pour gérer l’imprévu dans son contrat. La médiation conventionnelle lui ouvre la porte d’un cadre structuré de négociation. Pour le créancier, c’est la combinaison « inexécution + paralysie » qui devrait être son moteur pour le convaincre d’aller en médiation conventionnelle, d’autant que le cours de son astreinte ou de sa clause pénale éventuelle est suspendue a minima jusqu’au 24 juin 2020, et en réalité au-delà. Le débiteur pourrait être moins enclin à accepter la médiation conventionnelle, s’il entend profiter de la PJP « paralysant » justement l’action de son créancier. Mais venir rapidement en médiation lui permet de tenter de réduire sa dette et de maîtriser son risque sans le reporter, d’autant que la durée de la PJP est incertaine et que si c’est une somme d’argent qu’il doit après la PJP, il est exclu du dispositif du report du cours de l’astreinte ou de l’effet des clauses pénales… Comme cette « protection provisoire » du débiteur pendant l’état d’urgence n’est pas d’ordre publique, les parties sont libres de se retrouver autour de la table de médiation et d’organiser librement la poursuite ou la fi n de leurs relations contractuelles…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck