EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 20-21 – 18 MAI 2020
Déconfinés

Ca y est ! Nous voilà déconfinés.
Après 55 jours, la France cherche doucement à sortir de sa torpeur. Dans les rues, au bureau, c’est un peu la redécouverte de l’autre. On se parle de loin, masqués, en faisant bien attention. Comme si tout était normal quand tout est encore évidemment faussé. Drôle de périodes les après-guerres. On oscille toujours entre la peur du traumatisme passé et l’envie incompressible de retrouver la liberté d’avant. Le monde d’après sera-t-il transformé ? Difficile de le savoir. En tout cas, le travail à distance s’est imposé partout comme une alternative moderne et efficace à la présence physique. Le milieu du droit, par nature assez conservateur, a lui aussi procédé à cette avancée numérique forcée. De nombreuses juridictions ont pour la première fois mis en place des audiences par visioconférence. Les programmes universitaires se sont adaptés au format des cours en ligne. Les cabinets d’avocats se sont dématérialisés tout en conservant leur réactivité et le suivi habituel de leurs clients. Certes, cela ne s’est pas fait sans douleur. La crise est partout palpable et l’inquiétude économique a maintenant pris le pas sur la peur sanitaire. Mais en toute chose malheur est bon et l’outil numérique restera. Quant à nos libertés individuelles, dont on pouvait légitimement s’inquiéter qu’elles soient fortement malmenées, elles ont globalement résisté. Bien sûr, il y a eu des ratés. Les débuts de l’état d’urgence sanitaire, en particulier, ont été marqués par des prises de position de l’administration trop rigides et inutilement comminatoires. Face à ces coups de boutoir de l’exécutif, les contre-pouvoirs institutionnels, qu’ils soient parlementaires ou judicaires, ont souvent été absents ou trop conciliants. De très nombreuses catégories de citoyens (les soignants, les détenus, les avocats, les réfugiés, les commerçants…) ont saisi les juges pour obtenir que l’État leur accorde plus de protection. Leurs demandes n’ont guère abouti. Notre droit s’est opportunément adapté à l’absence de moyens de l’administration. Mais les juridictions suprêmes ont tout de même essayé de faire belle figure. La Cour de cassation dès la reprise de son activité a transmis au Conseil constitutionnel trois QPC sur le délit de réitération de la violation des règles du confinement et le Conseil d’État peut quand même se targuer d’avoir prononcé quelques injonctions pour recadrer l’action du Gouvernement. Reste maintenant à savoir comment nous allons sortir de tout cela. Le déconfinement n’est que la fin du premier acte de l’état d’urgence sanitaire. S’agissant des atteintes à nos droits, comme contre le virus, notre vigilance ne doit pas faiblir. On le sait : l’enjeu démocratique à venir sera d’abandonner ce nouvel état d’exception sans laisser dans notre législation les scories de cette période dérogatoire. Les politiques affirment y veiller mais chacun sait que leurs promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. Au fond, la question est la même pour le droit comme pour l’ensemble de notre pays. Dans quel état le retrouverons-nous quand cette crise sera enfin terminée ?

LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck