[LIBRE PROPOS] L’audience en visio-conférence : une exception au principe de présence physique – 11 janvier 2021

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE DU DROIT – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 1-2 – 11 JANVIER 2021

POINTS CLÉS ➜ Le Conseil d’État marque un coup d’arrêt à l’expansion du recours à la visio-conférence, jugeant que la privation de la présence physique dans le procès criminel constitue une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales ➜ La solution invite à reconsidérer les limites de l’équivalence fonctionnelle pour justifier la mise à l’écart du corps et de ses émotions au profit de succédanés technologiques et à intégrer dans un test en trois étapes l’importance de la présence physique en tant que facteur constitutif de la relation juridique

L’ordonnance prononcée le 27 novembre 2020 par le Conseil d’État (CE, ord., 27 nov. 2020, n° 446712, 446724, 446728,446736, 446816 : JurisData n° 2020-019336) fournit une parfaite occasion d’apprécier l’évolution, qui semblait jusque-là inéluctable, d’une virtualisation accrue de la procédure, sous les effets conjugués de la paupérisation de la justice, du développement technique et de la pandémie. Le juge administratif, saisi d’un référé-liberté par une coalition inhabituelle de syndicats d’avocats, de magistrats et d’organisations de défense des droits de l’homme, devait se prononcer sur la suspension de l’exécution des dispositions de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 (V. déjà JCP G 2020, 1442, Aperçu rapide R. Parizot) rendue en urgence au cours du procès « Charlie », visant à autoriser la tenue de l’audience devant l’ensemble des juridictions pénales par un moyen de télécommunication audiovisuelle, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties. Les requérants faisaient valoir que ces dispositions, qui étendaient la possibilité pour le juge d’avoir recours à ce type de moyen au-delà des cas, déjà fort larges, prévus par l’article 706-71 du CPP, portaient une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense et au droit à un procès équitable, notamment au droit à la comparution personnelle et physique des accusés lors de leur procès criminel. Le juge reconnaît la nécessité du recours à la visio-conférence, dans le contexte de la pandémie, en raison des difficultés de l’administration pénitentiaire pour effectuer les extractions des détenus. Il tient compte, par ailleurs, de son utilité pour éviter le report des audiences. S’il relève, en outre, que les dispositions contestées se bornent à offrir une faculté aux magistrats de faire appel à cette technique au regard notamment de l’état de santé du détenu et de l’enjeu de l’audience en cause, il n’en considère pas moins que ces justifications sont insuffisantes. La motivation retenue mérite qu’on s’y attarde.

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