[Libres Propos] Le juge, le brocard et la démocratie – Bernard Teyssié

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE DU DROIT – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 12 – 22 MARS 2021

POINTS CLÉS ➜ À sommer le citoyen de s’abstenir de toute contestation et de tout brocard à son encontre le juge court le risque de provoquer une réaction similaire à celle dontfurent victimes les parlements d’Ancien régime ➜ Le gouvernement des juges est une réalité, celle que forge la capacité de fixer les contours du droit positif ➜ Élus du Peuple ou fonctionnaires en charge d’un service public, nul ne saurait, dans une démocratie, échapper à l’exercice de la liberté de pensée et de son corollaire, la liberté d’expression

Émettre des doutes sur le fonctionnement de la justice et l’impartialité de certaines juridictions, critiquer le refus d’appliquer la loi, fondé sur une interprétation sujette à débat des textes en concours, au motif de son incompatibilité avec quelque norme européenne ou internationale, exprimer des réserves sur l’octroi au juge, dans la définition du corpus normatif, de tels pouvoirs qu’ils reviennent à mettre sous le boisseau la volonté du Parlement, donc des représentants du Peuple, est-il encore concevable ? L’est-il lorsque le Procureur général près la Cour de cassation, à l’orée du mois de janvier, lors de l’audience solennelle marquant l’ouverture d’une nouvelle année judiciaire, après avoir déclaré que « la justice est […] de plus en plus contestée, brocardée, au risque de dresser la société contre les juges », et affirmé que « ces attaques se sont multipliées pour dénoncer un empiètement des magistrats dans le champ de compétence des autres pouvoirs et agiter le spectre d’un gouvernement des juges », conclut que « ces attaques sapent la confiance de la société dans la justice, blessent la République et déstabilisent la démocratie » ? Contester, voire brocarder, les décisions, revirements et atermoiements des pouvoirs législatif et exécutif serait admissible ; adopter la même liberté de ton à l’égard de l’œuvre de l’autorité judiciaire, donc d’un corps de fonctionnaires en charge d’un service public, ne le serait pas ? Ceux qui s’y hasarderaient au détour d’un discours, au fil d’une tribune, au long cours d’un article devraient-ils être voués aux gémonies ?

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GENERALE

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