Communication syndicale

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°42

JEAN-EMMANUEL RAY, professeur à l’École de droit de Paris I – Sorbonne, membre du
Club des Juristes

Une décision responsable pour un équilibre subtil

En nos temps de Web 2.0, le refus du Conseil constitutionnel de censurer l’article L. 2142-6 du Code du travail n’autorisant l’accès des syndicats à la messagerie et à l’intranet de l’entreprise qu’à condition qu’un accord collectif soit signé – l’employeur pouvant donc s’y opposer – peut paraître antédiluvien. Mais ne cherchant pas à être « dans le vent », ce fantasme de feuille morte, le Conseil s’est montré responsable.

Une entreprise étant un organisme privé dont les systèmes d’information – parfois internationaux – ne servent pas seulement à communiquer mais constituent aujourd’hui le coeur du réacteur,
un libre droit d’accès est irresponsable. Si certaines confédérations s’étonnent officiellement de cet encadrement conventionnel n’existant pas pour les tracts papier, elles craignent aussi des dérapages locaux pouvant mettre en cause leur responsabilité à l’occasion de conflits sociaux durs, mais aussi des élections. Surtout avec l’effet de surenchère des TIC : or depuis la loi du 20 août 2008, les syndicats non représentatifs, mais prêts à beaucoup pour le (re)devenir, doivent aussi en bénéficier. Dans
la ligne de la CEDH (« L’article 10 de la Convention ne garantit pas une liberté d’expression illimitée et la protection de la réputation ou des droits d’autrui constitue un but légitime permettant de restreindre cette liberté d’expression » : CEDH, gr. ch., 11 sept. 2011 à propos de syndicalistes espagnols), le Conseil a donc légitimement décidé que l’article L. 2142-6 du Code du travail n’était pas inconstitutionnel, sur la base de trois arguments raisonnables.

1 / « Le législateur a entendu (…) permettre que les modalités de la communication syndicale par voie électronique puissent être adaptées à chaque entreprise et, en particulier, à l’organisation
du travail et à l’état du développement de ses moyens de communication ». Inutile d’insister : les conditions d’accès et d’utilisation ne peuvent être identiques dans une usine de production de 1790 ouvriers où existent trois bornes Intranet, et la SSII où les jeunes collaborateurs nomades sont immergés dans les TIC. Comment trouver une solution adaptée et équilibrée, sinon par la négociation collective permettant d’abord d’en expliciter les enjeux ?

2 / « Les modalités de cette diffusion devant préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message, le législateur a adopté des mesures pour assurer le respect des libertés
tant de l’employeur que des salariés ». Au-delà du respect, par les deux parties, des omniprésentes mais si peu connues lois Informatique et Libertés aux « lourdissimes » sanctions pénales (5 ans et 300 000 euros d’amende), qui conteste l’overdose des courriels ?

3 / « En l’absence d’accord, les syndicats peuvent (…) librement diffuser des publications et tracts sur les réseaux de communication au public en ligne ; les salariés peuvent également librement y accéder sur ces réseaux ; qu’ils peuvent s’inscrire sur des listes de diffusion afin de recevoir par voie électronique les publications et tracts syndicaux ».

Au-delà du traçage inhérent à l’outil informatique mettant mal à l’aise les syndiqués se connectant en interne, c’est à un équilibre subtil auquel a conduit l’article L. 2142-6 du Code du travail depuis l’irruption du Web 2.0. Une entreprise d’importance refusant tout accès est certaine de voir naître un site militant au nommage médiatique (« Cryo-Scours » ; « JeredouteLaRedoute »), mettant en ligne et parfois en scène la vie de l’entreprise côté cour mais aussi côté jardin : exit le Code du travail. Accessibles au monde entier, ils sont ouverts aux journalistes voire à la concurrence, toujours friands de ces informations venues de l’intérieur : l’Horreur côté direction dans notre monde de la réputation. La ré-internalisation de ces débats un peu chauds « débordant » littéralement sur le Web, Facebook ou Twitter dont la viralité est impressionnante (V. le feuilleton « @EquipierQuick ») est d’ailleurs à l’origine de la création des réseaux sociaux internes. La négociation collective n’est donc pas si déséquilibrée, et une signature représente l’intérêt commun.

L’intelligence consistant à choisir entre de grands inconvé- nients, la décision du 27 septembre est donc respectable car responsable : on ne joue pas avec les allumettes numériques.

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 42 – 14 OCTOBRE 2013

S’abonner à La Semaine Juridique – éd. Générale