
Éric Portal,
co-directeur scientifique de la RGP,
président du conseil d’orientation stratégique de l’AFIGESE
Edito de la Revue du gestionnaire public
Les finances locales sont marquées par trois ruptures, passée, présente et future.
La rupture passée a démarré en 2010 et produit toujours ses effets. Il s’agit de la disparition de la Taxe professionnelle et de son remplacement par la Contribution économique territoriale (CET) (L. fin. pour 2010, n° 2009-1673, 30 déc. 2009 : JO 31 déc. 2009, p. 22856).
Elle a été accompagnée d’une redistribution des recettes fiscales entre les trois niveaux de collectivités diminuant sensiblement leur capacité de modulation des taux. Elle a consacré un amoindrissement majeur de l’autonomie fiscale des départements et surtout des régions. Ces collectivités ne peuvent donc plus adapter depuis maintenant cinq ans, ou seulement à la marge, leurs recettes fiscales en modulant leurs taux. Le transfert d’une part de la CET (une fraction de la CVAE) des départements aux régions prévu en 2017 par la loi NOTRe n’y changera rien (L. n° 2015-991, 7 août 2015 : JO 8 août 2015, p. 13705).
La rupture présente, les collectivités locales sont en train de la vivre. Elle couvre la période 2014-2017 et se concrétise par des réductions des dotations nationales qui leurs sont versées. Elles s’inscrivent dans le cadre du redressement des finances publiques. La contribution des collectivités locales s’élèvera à 12,5 Md€ (et 28 Md€ cumulés sur quatre ans). Elle constituera une rupture pour les budgets locaux puisqu’elle représentera en 2017, toutes choses égales par ailleurs, une diminution d’environ 40 % de l’épargne brute dégagée en 2013.
Une rupture future se profile déjà à l’horizon. En effet, la loi de programmation des finances publiques 2014-2019 (L. n° 2014-1653, 29 déc. 2014 : JO 30 déc. 2014, p. 22786) institue un objectif de l’évolution de la dépense publique locale (ODEDEL). En substance, ce mécanisme vise à limiter l’évolution des dépenses locales au taux d’évolution de l’inflation. Si l’ODEDEL n’est qu’indicatif, il devra être pris comme référence par les gestionnaires locaux pour situer leurs propres taux d’évolution des dépenses locales. Mais surtout, la Cour des comptes suggère le vote d’une « loi de financement » des collectivités portant équilibre financier prévisionnel de chaque catégorie d’entre elles (C. comptes, Les finances publiques locales, oct. 2014 et oct. 2015). Une telle loi devrait accentuer la contrainte sur les finances locales.
Dans l’immédiat, la baisse des dotations d’État va puissamment faire baisser l’épargne brute locale. Les marges de manoeuvre pour la maintenir à un niveau suffisant ne résideront plus dans les recettes de fonctionnement, à l’exception du bloc local qui dispose encore d’une certaine autonomie
fiscale. C’est pourquoi les collectivités devront définir des stratégies financières adaptant la gestion locale à ces contraintes.
Aussi, la préservation de l’épargne brute, et donc in fine celle de la capacité d’investissement des collectivités, passera par des décisions sur le volet dépenses de fonctionnement. Les collectivités devront s’interroger sur le « comment est produit le service public » qui relève de la responsabilité
des administrations mais aussi, et peut-être surtout, sur le « niveau de service rendu au citoyen », voire l’opportunité et donc la pérennité de certaines politiques publiques. Cette dernière approche relève clairement de choix politiques que devront décider les élus locaux. À ce titre, les départements et régions vont devoir en particulier mettre à plat leurs interventions par voie de subventions de fonctionnement.
La disparition de la « clause générale de compétence » prévue par la loi NOTRe devrait les aider à réduire leurs interventions. Pour les communes qui conservent cette clause, les élus devront se poser la question pour toutes les dépenses d’intervention non rendues obligatoires par la loi. L’une
des variables majeures sera la masse salariale qui évolue plus vite que l’inflation à effectifs constants. Le redimensionnement du « service rendu aux citoyens » (par exemple la réduction des heures d’ouvertures des services publics) ou l’abandon (ou ajustement) de certaines politiques
publiques (ou de programmes constitutifs de celles-ci) permettra de stabiliser, voire, dans certains cas, de faire baisser la masse salariale au travers notamment du non-renouvellement systématique des départs en retraite.
Les dépenses de fonctionnement, qu’il s’agisse de dépenses de personnel ou de dépenses d’intervention, pour l’essentiel récurrentes, ne peuvent être diminuées que progressivement et ce sur un tempo plutôt moyen-long terme. Parallèlement, aucune collectivité ne pourra éviter une baisse
de son effort d’investissement. D’autant qu’à court terme, ce sont des dépenses plus flexibles que les dépenses de fonctionnement, qui peuvent ainsi être diminuées dans de fortes proportions. Et pourtant, c’est l’inverse qu’il conviendrait de faire : baisser les dépenses de fonctionnement
afin de préserver la capacité d’investissement !
1. Association finances, gestion et évaluation des collectivités territoriales.
REVUE DU GESTIONNAIRE PUBLIC – N° 1 FÉVRIER 2016