Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°18
JACQUES-HENRI ROBERT, professeur émérite de l’université Panthéon-Assas
L’Etat, privé du droit à l’avocat
Le projet de loi « relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique » contient l’interdiction des instructions individuelles
délivrées par le Gouvernement aux magistrats du ministère public. L’exposé des motifs affirme que « des ingérences de l’exécutif ne doivent pouvoir interférer dans le déroulement des procédures judiciaires et notamment des procédures pénales, afin de ne pas laisser la place au soupçon de pressions partisanes qui mine la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire ». Le projet réalise
le dessein que le garde des Sceaux avait formé, en septembre dernier « de mettre fin à toute suspicion d’intervention inappropriée du ministre de la Justice ou d’un autre membre de l’exécutif » ( Circ. 19 sept. 2012 : JO 18 oct. 2012, p. 16225 ).
Il est évident que « le soupçon de pressions partisanes » allégué par les rédacteurs du projet de loi concerne des affaires compromettantes pour des hommes politiques, amis ou adversaires du Gouvernement en place. Mais cette hypothèse particulière, et statistiquement minuscule, ne devrait pas entamer la légitimité des instructions individuelles dans leur ensemble. Dans l’affaire de la viande de cheval, par exemple,
personne n’a été choqué par les menaces de poursuites annoncées par le ministre chargé de la Consommation.
Le texte qui doit être modifié le plus substantiellement est l’alinéa 3 de l’article 30 du Code de procédure pénale qui dispose, dans son état actuel, que le ministre de la Justice « peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes » . La substance de cette règle ne remonte pas à la loi du 9 mars 2004, comme l’affirmait la circulaire, mais à celle du 31 décembre 1957, qui contenait le livre Ier du Code de procédure pénale, et elle a été confirmée par celle du 4 janvier 1993, toutes deux votées par des majorités socialistes. Il résulte de son application que si une poursuite déplaît au ministre, son pouvoir se borne à enjoindre au parquet de requérir un non-lieu, une relaxe ou un acquittement, mais non pas de paralyser l’action publique et encore moins d’imposer une quelconque décision au juge du siège ; et comme cet ordre doit être écrit, il est porté à la connaissance de l’avocat au cours de l’instruction
puis du public au cours de l’audience de jugement. La même condition de forme est imposée aux instructions par lesquelles le ministre ordonne des poursuites.
Les instructions individuelles du garde des Sceaux aux procureurs généraux sont donc régies, dans le droit positif actuel, par des dispositions propres à prévenir l’arbitraire que redoute, à tort, le Gouvernement. Si on devait les supprimer, l’État serait, en France, le seul plaideur qui n’aurait pas le droit de donner à son représentant, devant les juridictions judiciaires, les instructions qu’il juge à propos dans une affaire qui l’intéresse. Ces instructions sont particulièrement utiles quand le Gouvernement veut donner son avis sur le déroulement et l’issue d’une procédure collective conduite devant le tribunal de commerce à l’égard d’une entreprise qui emploie un grand nombre de personnes. Dans la période de crise que nous traversons, le Gouvernement ne doit pas se priver de cet instrument.
Le projet de loi actuel procède d’une interprétation approximative du principe d’indépendance de la justice et d’une mauvaise interprétation des textes qu’il entend modifier.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 18 – 29 AVRIL 2013