Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°52
JEAN HAUSER, professeur émérite de l’université Montesquieu – Bordeaux IV (CERFAP), membre du Club des juristes
L’adoption est-elle devenue le factotum de la filiation ?
Avoir des descendants a toujours eu une importance considérable, soit pour assurer le culte des ancêtres, soit pour des raisons économiques ou politiques, soit même, tout bonnement, pour une aspiration à l’éternité. Corrélativement la stérilité et la mortalité infantile ne permettaient pas toujours de satisfaire ce désir. Depuis le droit romain, et même avant, l’adoption visait à y répondre. Les adoptions célèbres sont nombreuses, notamment celle d’Octave par César. La fin du droit romain ouvre une longue période d’éclipse. L’Église catholique s’y montre hostile et s’abrite derrière la maxime « Dieu seul fait des héritiers, l’homme non ». La religion musulmane n’y sera pas davantage favorable puisque, encore aujourd’hui, elle ne reconnaît qu’une forme éloignée de délégation d’autorité parentale, la Kafala, et ce pour des raisons également largement successorales.
La résurrection de l’adoption en droit français date du Code civil en 1804. La mode « romaine » de l’époque, alliée probablement à des projets dynastiques de Napoléon, vont conduire le législateur du Code à prévoir une adoption largement « à la romaine ». L’adopté doit être majeur et, pour des raisons de calcul successoral, les liens avec la famille d’origine demeurent, l’enfant ayant alors deux familles. Cette adoption, souvent intra-familiale, connaîtra un succès limité malgré un assouplissement de ses conditions.
À la suite de la guerre, l’abondance d’orphelins conduit le législateur en 1920 à créer une autre adoption qui prendra le nom de légitimation adoptive. L’adopté est jeune et la rupture avec sa famille d’origine est totale, effet qui est d’ailleurs aujourd’hui critiqué au nom du droit à connaître ses origines.
Cette adoption concerne des couples qui n’ont pas d’enfant et peuvent accueillir des enfants sans parents ou des couples dans lesquels l’un souhaite adopter l’enfant de l’autre. Cette nouvelle forme d’adoption, loin de la philosophie de la première, va connaître un développement important sur fond
d’instabilité juridique. Institution civile en euphorie, elle deviendra adoption plénière et ses conditions, notamment d’âge, s’élargiront progressivement.
Elle va être le théâtre d’intérêts très contradictoires avec la raréfaction des enfants à adopter due à la maîtrise de la procréation. On assiste alors à une internationalisation du « marché » de l’adoption avec ses inconvénients, notamment la raréfaction des enfants à adopter. À partir des années 1960 l’institution a dérivé peu à peu vers une sorte de « droit à l’enfant » qui a éclipsé quelque peu l’intérêt de ce dernier et le vœu d’une « imitation » de la famille classique.
En même temps, l’adoption simple connaissait un renouveau considérable pour plusieurs raisons, notamment l’absence de rupture avec la famille d’origine et des conditions d’âge plus souples puisqu’elle peut concerner des majeurs et par exemple les enfants majeurs du conjoint (95 % des adoptions simples sont intra-familiales). S’y ajoute la possibilité, sous certaines conditions, d’obtenir un régime fiscal favorable en cas de transmission de biens. Toutefois, le procédé a été instrumentalisé aux fins de contourner nombre d’interdits juridiques, l’adoption simple est devenue un kaléidoscope juridique largement illisible.
Mais on peut se demander si, à la lumière des projets récents, l’adoption plénière ne va pas suivre le même chemin.
Alors que sa philosophie principale demeurait l’imitation d’une famille classique, fondée sur le mariage, son ouverture aux couples de même sexe va lui retirer ce fondement.
En somme, l’adoption apparaît de plus en plus comme un moyen indifférencié de créer un pseudo lien de filiation, purement volontaire, sans référence à un modèle classique et qui comporterait les mêmes conséquences civiles, sociales ou fiscales qu’un lien de filiation biologique. Toutefois, son régime juridique n’ayant jamais été conçu dans cette perspective, un grand désordre normatif est à prévoir. Il eût été sans aucun doute souhaitable de la revoir dans sa totalité pour la faire coïncider avec ces nouvelles ambitions, mais, il est vrai que l’entreprise eût été moins politiquement visible,
même si elle était plus intelligemment raisonnable.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 52 – 24 DÉCEMBRE 2012