L’action de groupe

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°37

FRÉDÉRIC JENNY, professeur d’économie à l’ESSEC, membre du Club des juristes

Une procédure qui renforce la dissuasion du droit de la concurrence

Le coût d’accès à la justice est élevé et faute d’un instrument juridique adapté, un grand nombre de victimes de contentieux de masse, notamment en matière de pratiques anticoncurrentielles, renoncent à obtenir réparation des préjudices qu’elles ont subis. La création d’une
action de groupe pour l’indemnisation des consommateurs, annoncée
tant par la garde des Sceaux que par le ministre chargé de la Consommation est indispensable malgré les réticences de ceux qui dénoncent les risques d’une instrumentalisation et le coût de ce
nouvel instrument pour les entreprises (V. JCP G 2012, act. 926 ).
Il incombera au Parlement de s’assurer que l’action de groupe permette effectivement aux victimes ayant subi un faible préjudice de
se regrouper tout en s’assurant que le traitement des demandes des
victimes n’impose pas un coût de procédure intolérable pour les
entreprises recherchées.

Il faut néanmoins souligner l’utilité des actions de groupe, qu’elles se résolvent ou non par des transactions, pour assurer l’efficacité de la mise en œuvre du droit de la concurrence. Trois affaires récentes sont à cet égard exemplaires.

Dans la première, le Département de la Justice (DoJ) des ÉtatsUnis et la Commission européenne ont poursuivi des producteurs de composants électroniques (DRAM) pour s’être entendus sur les prix des composants d’avril 1999 à décembre 2002. En Europe les dix participants furent condamnés à des amendes de 425 millions de dollars. Aux États-Unis, sept de ces entreprises furent condamnées à 729 millions de dollars, mais des acheteurs directs (fabricants d’ordinateurs) et indirects (consommateurs) ont formé plusieurs actions de groupe. Les membres du cartel leur ont proposé
une transaction de 600 millions de dollars dont 285 millions de dollars aux victimes indirectes en réparation du préjudice causé.
En Europe, les petites victimes directes ou indirectes du cartel, et en particulier les consommateurs, n’ont reçu aucune compensation de leur préjudice.

Par ailleurs, aux États-Unis, des commerçants ont soutenu que les banques participant aux systèmes de paiement Visa et MasterCard s’entendaient illégalement en fixant la commission commerçant
(environ 2 % du montant des transactions réglées par ces systèmes de paiement). Les systèmes de paiement concernés et les banques affiliées ont annoncé le 13 juillet 2012 une transaction avec un
groupe d’environ 7 000 000 de commerçants pour un montant de 7, 25 milliards de dollars payés sous forme de réduction temporaire de la commission commerçant (0,1% pendant huit mois soit un
transfert de 1,2 milliards de dollars au profit des commerçants) et par un versement en liquide de 6 milliards de dollars.

Enfin, le DoJ a poursuivi en 2008 huit producteurs (japonais, coréens et taïwanais) d’écrans à cristaux liquides utilisés dans les ordinateurs ou les téléviseurs, pour avoir entre 2001 et 2006 mis en œuvre une entente sur les prix. Sept de ces entreprises ont plaidé coupable et accepté des amendes pénales d’un montant de 890 millions de dollars. La huitième entreprise (AU Optronics Corporation)
qui avait choisi d’aller au procès, a été condamnée en mars 2012. En décembre 2010, la Commission européenne a condamné six de ces producteurs et leur a infligé une amende de 649 millions
d’euros d’euros pour s’être entendues sur le marché européen.
Des actions civiles ont été engagées aux États-Unis à l’encontre des producteurs d’écran à cristaux liquides par sept États et par des victimes directes (Hewlett-Packard, Apple, Dell) et indirectes (leurs clients), regroupées dans des actions de groupe. Les producteurs ont transigé en juillet 2012 pour 1, 1 milliards de dollars dont 692 millions de dollars consacrés à rembourser partiellement les consommateurs dans 24 États. Chaque consommateur ayant acheté un ordinateur ou un appareil doté d’un écran à cristaux liquides pendant la période de référence sera dédommagé à concurrence
de 50 dollars.

La Commission européenne lors de l’annonce de la condamnation de ce cartel a indiqué que « Toute personne ou entreprise lésée par des pratiques anticoncurrentielles telles que celles décrites ci-dessus peut porter l’affaire devant les tribunaux des États membres pour obtenir des dommages et intérêts ». Il est permis de douter que les millions de consommateurs français qui ont subi un préjudice de l’ordre de 40 euros par appareil électronique acheté aient le courage, le temps et les moyens de saisir un tribunal civil.

L’action civile de groupe est un complément indispensable de l’action publique en matière de droit de la concurrence : d’une part, elle est de nature à permettre une compensation plus juste du préjudice des consommateurs victimes de pratiques anticoncurrentielles lorsque chacun des préjudices individuels est faible et le nombre de victimes, commerçants ou consommateurs, élevé;
d’autre part, en renchérissant pour les contrevenants, le coût auquel leur pratique les expose, elle renforce la dissuasion du droit de la concurrence.

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 37 – 10 SEPTEMBRE 2012

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