Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°8
LA SEMAINE DU DROIT – Affaires
Point de départ du délai biennal de l’article L. 137-2 du Code de la
consommation : le revirement attendu est enfin là !
Jérôme Lasserre Capdeville, maître de conférences HDR, université de Strasbourg
Cass. 1 re civ., 11 févr. 2016, n° 14-28.383, FS P+B+R+I : JurisData n° 2016-002036
Cass. 1 re civ., 11 févr. 2016, n° 14-27.143, FS P+B+R+I : JurisData n° 2016-002048
Cass. 1 re civ., 11 févr. 2016, n° 14-22.938, FS P+B+R+I : JurisData n° 2016-002028
Cass. 1 re civ., 11 févr. 2016, n° 14-29.539, FS P+B+R+I : JurisData n° 2016-002043
Note à paraître Antoine Gouëzel
Par une décision remarquée du 10 juillet 2014 (Cass. 1 re civ., 10 juill. 2014, n° 13- 15.511 : JurisData n° 2014-016028 ; RTD com. 2014, p. 675, obs. D. Legeais ; LEDB 2015, n° 9, p. 1, obs. M. Mignot ; JCP G 2014, 948, J. Lasserre Capdeville), la première chambre civile avait déclaré que le point de départ du délai de prescription biennal prévu par l’article L. 137-2 du Code de la consommation se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé.
Cette solution, réitérée à plusieurs reprises (Cass. 1 re civ., 16 avr. 2015, n° 13-24.024 : JurisData n° 2015-008114. – Cass. 1 re civ., 3 juin 2015, n° 14-16.950 : JurisData n° 2015- 013165. – Cass. 1 re civ., 9 juill. 2015, n° 14-17.870 : JurisData n° 2015-016887) était cependant fortement critiquée. D’un point de vue pratique, elle était de nature à encourager le prêteur à exercer rapidement son action en paiement contre l’emprunteur dès le premier incident de paiement. Techniquement, elle revenait à appliquer au délai de prescription de l’article L. 137-2 du Code de la consommation une solution propre au délai de forclusion de l’article L. 311-52 du même code, alors même que ces deux délais ne
sauraient être confondus ( M. Vasseur, Délai préfix, délais de prescription, délais de procédures : RTD civ. 1950, p. 439 ). Un revirement de jurisprudence était donc attendu. Celui-ci vient d’avoir lieu.
En effet, par quatre décisions rendues le 11 février 2016, la première chambre civile de la Cour de cassation énonce pour la première fois, par un « chapeau de tête » commun, que : « à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité ».
Cette solution emporte notre conviction. L’essentiel à prendre en considération en la matière est la date d’exigibilité de l’obligation. Cette solution figure d’ailleurs à l’article 2233, 3°, du
Code civil selon lequel la prescription ne court pas « à l’égard d’une créance à terme, jusqu’à ce que ce terme soit arrivé ».
Mais alors, à quel moment ce terme intervient ? Dit autrement, à quelle date la créance du prêteur immobilier devient exigible ? Plusieurs situations sont à distinguer.
Tout d’abord, un prêt est généralement remboursable par fractions ; le plus souvent par échéances mensuelles. Par conséquent, chaque mensualité est une créance distincte, ayant sa propre date d’exigibilité, et, forcément, un point de départ particulier au regard du délai de
prescription. Les échéances se prescrivent donc de façon successive. Cela est logiquement rappelé dans la solution dégagée par les quatre arrêts du 11 février 2016 : « l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives ». Une hypothèse particulière doit toutefois être réservée, celle où le créancier provoque la déchéance du terme. Dans ce cas en effet la dette devient exigible intégralement et la déchéance doit alors constituer le point de départ du délai de prescription. Ici encore, les quatre décisions confirment cette solution de bon sens : « l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité ». En résumé, nous voici en présence d’une solution en tout point conforme au droit. Elle est à ce titre la bienvenue !
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 7 – 15 FÉVRIER 2016