Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°9-10
Denis Mazeaud
« Pas un mot dans les journaux télévisés ou à la radio qui lui ont
préféré le projet de réforme du Code du travail. »
Alléluia, la réforme du droit des contrats, de la preuve et du régime des obligations est arrivée, s’exclament les juristes
de tous poils depuis la publication de l’Ordonnance qui en porte le titre au Journal Officiel du 11 février dernier!
Quel contraste entre le bruit que cette publication a suscité dans les milieux juridiques et le silence assourdissant qu’elle a provoqué dans le grand public ! Pas un mot dans les journaux télévisés ou à la radio qui lui ont préféré le projet de réforme du Code du travail. Quant à la presse écrite, certes un grand journal du soir lui a rendu hommage, mais c’est un professeur de droit qui tenait la plume pour
les besoins de la cause…
Ceci n’explique évidemment pas cela, mais, sans faire la fine bouche, il n’est pas interdit de penser que cette réforme ne se traduit pas par une révolution de notre modèle contractuel, même si on s’arrête sur ses dispositions a priori les plus spectaculaires.
La cause est entendue, si on en croit certains.
La plus fameuse des notions de notre patrimoine contractuel serait passée à la trappe au nom de la modernité. À mieux y regarder, pourtant, la cause est sous entendue. En effet, elle demeure tapie dans l’ombre de plusieurs dispositions de l’Ordonnance, qui maintiennent ses fonctions traditionnelles et qui consacrent même la règle jurisprudentielle, vertement critiquée à l’époque, qui, sur son fondement, avait permis de réputer non écrites certaines clauses abusives entre professionnels.
La théorie de l’imprévision fait apparemment une entrée fracassante dans le Code civil et l’antique jurisprudence inaugurée en 1876 passe de vie à trépas. Désormais, quand l’exécution du contrat est devenue excessivement onéreuse pour un contractant à la suite d’un changement imprévisible de circonstances, celui-ci peut demander à son partenaire de renégocier le contrat et, en cas de refus ou d’échec de la renégociation, il peut demander au juge de réviser ou de résilier le contrat. Cette révolution de notre modèle contractuel, fondé notamment sur le principe de non-ingérence du juge dans le contrat, doit être sensiblement relativisée, puisque la liberté contractuelle peut neutraliser le mécanisme via une clause d’acceptation du risque d’imprévision. La liberté contractuelle aura donc, demain comme hier, toujours le dernier mot.
Le retrait du juge et la montée en puissance du pouvoir de la volonté unilatérale marquent aussi les esprits, notamment à propos des sanctions de l’inexécution. À ceci près que ce pouvoir est tempéré toujours par la nécessité préalable d’une mise en demeure et parfois par l’exigence d’une obligation de motivation.
Quant au contrat d’adhésion qui fait irruption dans le Code civil, il est remarquable en ce qu’il rompt avec la philosophie contractuelle du Code civil. Mais les règles, qui en constituent des applications, sont rares et la plus spectaculaire d’entre elles, qui permet au juge de réputer non écrites les clauses abusives aura fatalement un champ d’application réduit, en raison de la « concurrence » du Code de la consommation et du Code de commerce.
Réforme, vous avez dit réforme ?
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 9-10 – 29 FÉVRIER 2016