[Article] Lutte contre le terrorisme

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°11
Entretien avec PATRICE SPINOSI, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

« L’action que nous avons menée n’a jamais eu pour but de désarmer l’État face à la menace terroriste. Mais l’état d’urgence est-il encore utile pour assurer cette finalité ? »

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé, le 19 février 2016 (n° 2016-535 QPC et n° 2016-536 QPC : JurisData n° 2016-002621 et JurisData n° 2016-002623), sur deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur des mesures liées à l’état d’urgence.   S’il a validé, dans leur principe, la majorité des mesures qui lui étaient soumises, le Conseil a fait abrogation immédiate d’une disposition de la loi du 3 avril 1955 permettant à l’autorité administrative de collecter les données informatiques consultées lors d’une perquisition administrative (L. n° 55-385, art. 11, I, al. 3).
Intervenant à l’instance pour la Ligue des droits de l’homme, et déjà à l’origine de plusieurs QPC sur le sujet, Me Patrice Spinosi revient pour La Semaine juridique, Édition générale sur la censure partielle du Conseil constitutionnel et sur ce régime exceptionnel.

 

La Semaine juridique, Édition générale : Le Conseil a jugé inconstitutionnelles les dispositions
permettant de copier les données informatiques récupérées lors de perquisitions
administratives. Cette abrogation immédiate n’est-elle pas un frein porté à la lutte contre le terrorisme, en particulier s’agissant des perquisitions récentes ?

Patrice Spinosi : Je ne le pense pas. Le Conseil constitutionnel a pris le soin de moduler dans
le temps les effets de cette abrogation, qui ne prend effet qu’à compter de la publication de
la décision. Il n’y a donc pas de remise en cause de l’acquis. Toutes les saisies qui sont déjà intervenues, comme leur exploitation, restent parfaitement valables. En revanche, il n’est désormais plus possible de procéder à des nouvelles saisies numériques. Et encore, même sur
ce point, il n’y a pas de véritable frein à l’action policière. Les saisies demeurent possibles si
elles sont autorisées par un juge judicaire, ce qui correspond à l’utilisation normale du
droit de l’antiterrorisme : s’il existe un indice objectif de préparation d’une infraction, les
forces de police obtiendront sans aucune difficulté d’un juge l’autorisation d’intervenir sans
délai. Par ailleurs, l’abrogation prononcée par le Conseil n’est que temporaire. Les saisies
informatiques administratives pourront être réintroduites dans notre droit par le Gouvernement
dans le cadre de la loi actuellement en préparation sur les mesures liées à l’état d’urgence. Comme l’a jugé le Conseil, il suffit de prévoir un régime pour la conservation et la destruction des données personnelles saisies. En définitive, le législateur est le premier responsable de cette situation qu’il aurait pu éviter. Le Conseil constitutionnel lui avait déjà rappelé dans la décision du 26 novembre 2015 (Cons. const., 26 nov. 2015, n° 2015-722 DC) à l’occasion de l’examen de la loi relative au
renseignement (L. n° 2015-912, 24 juill. 2015 : JO 26 juill. 2015 ; R. Parizot, Surveiller et prévenir… à quel prix ? : JCP G 2015, doctr. 1077) qu’il lui incombait d’encadrer strictement le régime des saisies de données personnelles. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’abrogation était tout à fait prévisible.

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LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N°11 - 14 MARS 2016

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