[Edito] Brutalité du rap, vertu du droit

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°12

 Pascale Robert-Diard
« Le rappeur était poursuivi par plusieurs associations de défense des
droits des femmes pour “provocation à la haine ou à la violence à
raison du sexe”. »

Je n’écoute pas de rap et j’avoue avoir tout ignoré du chanteur Orelsan avant de découvrir son nom dans un arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles, le 16 février ( n° 15/02687 : JurisData n° 2016-004387 ). Après tout, chacun ses sources. De quoi s’agissait-il ? Le rappeur était poursuivi par plusieurs associations de défense des droits des femmes – Chiennes de garde, Collectif féministe contre le viol, Fédération nationale solidarité femmes, Femmes solidaires et Mouvement français pour le planning familial – pour « provocation à la haine ou à la violence à raison du sexe » en raison de plusieurs chansons interprétées lors d’un concert au Bataclan, à Paris en mai 2009.

Parmi les textes incriminés de son album Perdu d’avance , figuraient les propos suivants : « Renseigne-toi sur les pansements et les poussettes. Je peux faire un enfant et te casser le nez sur un coup de tête », « J’respecte les schnecks [les filles] avec un QI en déficit, celles qui encaissent jusqu’à devenir handicapées physiques » ou encore cette expression « Ferme ta gueule ou tu vas te faire marie-trintigner », en référence explicite à la mort de l’actrice Marie Trintignant, à la suite des coups portés par son compagnon Bertrand Cantat.

Condamné en mai 2009 à 1 000 euros d’amende avec sursis par la 17e chambre du tribunal de grande
instance de Paris, le chanteur avait fait appel, la décision de la cour avait été cassée et renvoyée devant une nouvelle cour d’appel, à Versailles. Celle-ci, présidée par Olivier Leurent, a infirmé le jugement de la pourtant très libérale 17e chambre et prononcé la relaxe d’Orelsan au grand dam des associations féministes. Une telle décision, sur un sujet aussi politiquement sensible que la lutte contre les violences faites aux femmes, mérite que l’on s’y arrête.

Sur le fond, la cour considère tout d’abord que le critère de la nécessaire « distanciation » entre les personnages fictifs des chansons et leur auteur est acquis. Orelsan, souligne la cour, n’a jamais revendiqué pour lui-même la légitimité des propos violents et sexistes qu’il prête aux tristes héros
de ses textes. La cour observe en outre que le rap, s’il est « par nature brutal, provocateur, vulgaire, voire violent, puisqu’il se veut le reflet d’une génération désabusée et révoltée » est un de ces modes d’expression minoritaire « reflet d’une société vivante » qui doit avoir sa place dans une démocratie, sauf à « investir le juge d’un pouvoir de censure qui s’exercerait au nom d’une morale nécessairement subjective ».

Mais la finesse singulière de cette décision se lit dans le passage suivant : « Orelsan dépeint, sans doute à partir de ses propres tourments et errements, une jeunesse désenchantée, incomprise des adultes, en proie au mal-être, à l’angoisse d’un avenir incertain, aux frustrations, à la solitude sociale, sentimentale et sexuelle » avec des propos qui sont « le reflet du malaise d’une génération sans repère, notamment dans les relations hommes femmes ». Que celui qui a signé cet arrêt soit un ancien président de cour d’assises à Paris et à Bobigny, lieu d’observation s’il en est des frustrations, de la solitude et des errements d’une jeunesse sans repère, n’est évidemment pas anodin.

Je n’écouterai pas plus Orelsan demain qu’hier.
Mais ceux qui aiment la brutalité du rap devraient aussi goûter la vertu du droit.

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°12 – 21 MARS 2016

A SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°12 – 21 MARS 2016

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